Avant-critique Roman

Anthony Passeron, "Jacky" (Grasset)

ANTHONY PASSERON - Photo © JF PAGA

Anthony Passeron, "Jacky" (Grasset)

Rentrée littéraire

À travers un émouvant hommage au père, Anthony Passeron revisite sa propre enfance au fil des jeux vidéo, sur fond de tragédies familiales.

Parution 20 août

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Par Sean Rose
Créé le 10.07.2025 à 09h00

Atari 2600, année zéro. L'histoire intime fait fi des années calendaires, de la grande Histoire qui débute avec le comput chrétien. L'année zéro pour le narrateur de Jacky, deuxième roman d'Anthony Passeron, c'est le jour de Noël de ses 6 ans où il reçoit une console Atari 2600. Commence alors pour lui et son frère jumeau une carrière de gamers invétérés, où les heures vont s'égrener au fil des jeux vidéo : Space Invaders, Super Mario, Zelda... À l'Atari succéderont la Nintendo, la Sega.

Le père des enfants, Jacques, dit Jacky, est né l'année où fut créé par hasard au MIT, le célèbre Institut de technologie du Massachusetts, l'ancêtre du jeu vidéo. Jacky tient la boucherie du village de l'arrière-pays niçois. Il n'eut guère le choix puisque son frère aîné avait tourné le dos au métier qui depuis des générations avait mêlé le sang du clan à celui des bêtes. Du magnétoscope à la console de jeux... Jacky, tout travailleur acharné qu'il est, ne prive son foyer d'aucune nouveauté cathodique, quoique ce ne soit pas la meilleure manière à ses yeux d'endurcir des rejetons qu'il trouve un peu trop coqs en pâte. Noël des 12 ans des jumeaux : les parents se séparent, les affaires vont mal, ils n'ont plus les moyens d'offrir aux deux ados la Super Nintendo rêvée. Des cousins déménagent, le narrateur et son frère héritent d'une Mega Drive - « Ce boîtier en plastique noir conçu au Japon », qui, « avec quelques composants fixés sur un circuit imprimé, [...] était capable de créer des mondes gigantesques au fond desquels on pouvait enfin disparaître. [...] Notre ultime recours de nous soustraire à cette étroite vallée d'ennui. »

D'ennui et de larmes... L'auteur des Enfants endormis (Globe, prix Wepler 2022) retrace derechef toute l'histoire d'une famille frappée par le deuil - fatale overdose d'un oncle, suicide d'un autre, mort d'une jeune cousine des suites du sida transmis par sa propre mère toxicomane... Dans Jacky, ce deuxième roman autobiographique, Anthony Passeron, né à Nice en 1983, peint également une ruralité dont les codes de la violence viriliste ajoutent à son mal-être, sans doute atavique. Il observe son père taiseux au volant : « De retour du cinéma, pendant qu'il conduisait la nuit et que nous nous endormions sur la banquette arrière, une larme brillante coulait le long de sa joue et le trahissait. Je me demandais si elle ne contenait pas davantage que des amours mortes. J'apercevais dans son reflet tout ce qu'il avait tenté d'enfouir en lui, des fantômes et des échecs, la mélancolie et la peine de toute une existence. »

Un beau jour, Jacky disparaît complètement de l'existence du narrateur- évaporé d'un coup ! Le paternel est parti ailleurs refaire sa vie, congédiant son passé, se débarrassant des affaires de ses fils, qui découvrent leur Atari 2600 à la brocante. Les jeux vidéo, grâce à leur univers pixélisé, offraient certes une échappatoire, mais qui en ce territoire de déréliction n'aurait pas préféré fuir la réalité pour de vrai ?

Anthony Passeron
Jacky
Grasset
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 208 p.
ISBN: 9782246843573

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