Antoine Gallimard est P-DG de Madrigall.

Comment percevez-vous le conflit qui oppose Amazon à Hachette Book Group aux Etats-Unis et à Bonnier en Allemagne ?

Antoine Gallimard- Photo O. DION

Amazon met en cause le rôle de l’éditeur en ne reconnaissant pas le soutien à long terme qu’il apporte à l’auteur, tant sur le plan financier que sur le plan de la complicité intellectuelle, voire amicale. Amazon peut proposer à l’auteur une rémunération avec des droits élevés mais sur des prix de vente ridicules, ce qui est un leurre. Amazon a-t-il déjà financé à perte, pendant des années, un auteur comme peuvent le faire les éditeurs ? Amazon se veut un champion du marketing et de la technique de distribution alors que l’essentiel est de préserver la création des auteurs ainsi que la curiosité et l’appétit des lecteurs en leur faisant franchir des horizons nouveaux (au-delà des algorithmes).

Que pensez-vous de la mobilisation des auteurs aux Etats-Unis comme en Allemagne ?

Elle témoigne d’une formidable prise de conscience du danger que peut représenter Amazon dans sa volonté de dominer le marché avec toutes les conséquences que cela induit : une réduction à terme de l’éventail de l’offre ; une dévalorisation de la production - puisque le prix est dévalué - sans la reconnaissance du travail des différents acteurs de la chaîne du livre.

Que peut-on faire en France ?

La France est à court terme protégée par le prix unique, mais on sait le lobbying pratiqué par Amazon pour sa suppression. Son poids à Bruxelles est considérable. Je rappelle d’ailleurs qu’il y a eu une enquête sur certains éditeurs pour entente illicite à propos du contrat de mandat pour la vente du livre numérique et que cette enquête a été classée sans suite. Amazon fait croire au lecteur qu’il travaille pour lui et que l’éditeur n’a qu’une vision financière. Cette bataille a le mérite de faire sortir Amazon du bois quand il s’attaque à Hachette avec des moyens totalement inadmissibles en pratiquant des mesures commerciales discriminatoires.

Que pensez-vous de l’argument d’Amazon prétendant amener de nouveaux lecteurs ?

Ce que l’on voit aux Etats-Unis, c’est une migration des lecteurs du format de poche vers le support numérique. Ce ne sont donc pas de nouveaux lecteurs. Amazon pratique un marketing direct qui s’adresse à un public déjà averti. La recherche de nouveaux lecteurs doit se faire à travers l’école, la librairie et l’innovation éditoriale. Je ne vois pas Amazon faisant le même travail que celui que nous avons fait autour de Harry Potter et de J. K. Rowling qui a suscité de nouveaux lecteurs.

Que peuvent faire les éditeurs français pour résister aux visées hégémoniques d’Amazon ?

Les éditeurs français doivent aussi avoir une offre attractive. Je me réjouis que nous ayons une loi sur le prix unique du livre numérique ainsi qu’un accord avec les auteurs sur l’adaptation des contrats. Aujourd’hui, de nombreux éditeurs multiplient l’offre numérique à un prix attractif, de l’ordre de - 30 %, qui correspond à l’économie du livre papier et de la distribution. Par ailleurs, je rappelle que les éditeurs proposent régulièrement des offres ponctuelles dont les prix peuvent être bien en dessous du prix de vente ciblé par Amazon de 9,99 dollars. Soulignons aussi l’initiative d’un certain nombre de libraires qui mettent en place des offres numériques à partir de leur lieu de vente. Ce qui permettra ainsi que l’offre papier et l’offre numérique ne s’opposent pas et restent cousines afin de bien assurer l’avenir de notre profession dans le respect des auteurs. Propos recueillis par C. F.

15.04 2015

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