Heureux présage, discours de la méthode ou dernier inventaire avant liquidation, ces temps-ci, c'est fou ce que les écrivains aiment à se présenter en lecteurs. Roger Grenier, Charles Dantzig ou Danièle Sallenave ont ainsi sacrifié au genre. Avec Nos vies romancées, recueil d'essais littéraires et précis d'admiration par lequel l'auteur fait son entrée dans le catalogue des éditions Stock, Arnaud Cathrine leur emboîte le pas, sur un versant peut-être plus buissonnier, plaisamment intime, et c'est magistral.
Carson McCullers, Françoise Sagan, Roland Barthes, Fritz Zorn, Sarah Kane, Jean Rhys. Six livres, six oeuvres, six écrivains comme autant de chemins de vie pour l'auteur de La route de Midland (Verticales, 2001) ou de La disparition de Richard Taylor (Verticales, 2007). Six façons aussi d'être au monde, non en le réenchantant, mais en s'y soustrayant, le temps de l'écriture au moins ; et de n'acquiescer à rien avec autant de force qu'à la puissance des mots. Arnaud Cathrine aborde chacun d'eux comme autant de frères invisibles, sans une once de cuistrerie, sans se sentir obligé d'adopter une quelconque posture, sans sacrifier au sentencieux. Et nous parlant de ces livres, il nous parle de lui, peut-être plus frontalement qu'il ne l'avait jamais fait. Chacune des oeuvres envisagées est une éducation sentimentale ; et d'abord, on l'aura compris, celle du lecteur. Adoptant l'axiome cher à Serge Daney, Arnaud Cathrine a moins lu Frankie Addams, Fragments d'un discours amoureux ou Mars qu'il n'a été "lu par eux". Révélé et sans doute sauvé. On ne connaît pas d'autre façon de lire. Ni de vivre.