Normal 0 21 false false false MicrosoftInternetExplorer4 Parfois on feuillette un livre avant de le lire. En l’occurrence, à l’envers. Une longue bibliographie, une liste de 73 planches illustrées, je tombe sur des croquis du système nerveux, un dessin de Goya, et un mur sur lequel sont accrochés différents dessins. Ce dernier figure une planche de l’Atlas Mnémosyne (Mémoire) d’Aby Warburg, sujet principal du livre de Georges Didi-Huberman. Normal 0 21 false false false MicrosoftInternetExplorer4 Warburg, historien de l’art et des images, compose cet atlas inachevé entre 1924 et 1929 à partir d’une immense bibliothèque iconographique. Normal 0 21 false false false MicrosoftInternetExplorer4 Un atlas se compose de planches : anatomiques, géographiques, astronomiques, archéologiques - de photos, de gravures. L’ancêtre et la descendance de la planche : la table - autel, site du sacrifice (rite spirituel), divination (rite de lecture des signes, les viscères parlent des desseins des dieux), repas (rite social) ; table de dissection, tablette d’écriture. Normal 0 21 false false false MicrosoftInternetExplorer4 Assembler le dissemblable, hybris, métis, le désordre du monde mouvant sur un écran noir. Normal 0 21 false false false MicrosoftInternetExplorer4 Atlas, ensemble de figures alter , du proche et du lointain, dans le temps, dans l’espace ; ainsi les planches elles-mêmes créent des analogies inédites - comme nous pouvons en ouvrir chaque jour. Ainsi : Normal 0 21 false false false MicrosoftInternetExplorer4 Quelque chose d’un foie divinatoire babylonien daté d’environ 1700 av. JC survit dans une manette de jeu vidéo, avec laquelle on se déplace dans un autre niveau de réalité : Normal 0 21 false false false MicrosoftInternetExplorer4 Un autel chamanique de noix et de perles posé à terre ressemble à des pixels formant des vaisseaux dans l’espace (sort répétitif de défense) : Normal 0 21 false false false MicrosoftInternetExplorer4 Et par un chemin plus classique, la mosaïque du sol de la chambre non balayée d’une villa romaine du IIème siècle se retrouve dans le Bleu du ciel de Kandinsky : Normal 0 21 false false false MicrosoftInternetExplorer4 Telle est la forme des correspondances dressées par l’imagination, pour savoir ce qui survit. Atlas, celui qui, écrasé par le poids du monde, soutient la voûte céleste et connaît les profondeurs. Une histoire de la connaissance, une “ archéologie du savoir visue l”. “Lire ce qui n’a jamais été écrit”. Un texte qui reprend, revient, relit par motifs comme l’art lui-même - “la faculté de relire les temps dans la disparité des images, dans le morcellement toujours reconduit du monde”. Comme dans une “encyclopédie chinoise” écrite par Borges, ou les plateaux et rhizomes deleuziens. Atlas porte un drame et un savoir éternellement mêlés et nous emmène vers Nietzsche : “nous rejetons de vieilles écorces, nous faisons peau neuve à chaque printemps (...) nous poussons nos racines avec toujours plus de puissance dans la profondeur - dans le Mal - tandis que dans le même temps nous embrassons le ciel avec toujours plus d’amour et d’ampleur, et que de toutes nos branches, de toutes nos feuilles nous absorbons sa lumière avec une plus grande soif.” Le Gai Savoir est inquiet, dans la joie de l’errance au-delà des frontières et la condition tragique de la quête de connaissance (car elle est infinie et nous sommes mortels). Goya et la lucidité des monstres. L’imagination, “portée” sur la table, produit les caprices de la vérité. “Echantillonner le chaos du monde” entre les astra (idées célestes) et les monstra (pulsions viscérales). Les affinités et les différences sont tissées avec Kant, Goethe, Walter Benjamin, Brecht, la photographie, le cinéma. Plus qu’une histoire de formes, l’histoire de l’art est une histoire de gestes, d’intervalles, de mouvements, de guerres. “[Warburg] ne disait jamais : ceci est juste, cela est faux. Il disait : ceci est voilé par la souffrance.” Il assembla pour l’Atlas Mnémosyne un millier d’images - sources choisies de la mémoire - et collecta notamment des archives de la Première guerre mondiale. Il connut l’internement psychiatrique dont il sortit par la restauration de sa capacité à travailler, à opérer des coupes et remonter l’histoire du monde à travers les images. Ce “dispositif expérimental”, inachevé, admirablement remontré ici, est un laboratoire, une niche aux multiples ouvertures, pour, d’un “regard embrassant” et par la critique, raconter des “histoires de fantômes pour grandes personnes”, indiquer une “loi secrète” et entrevoir, peut-être, “quelque chose des incendies à venir”. “Savoir / comme / prophétie”. Regarder les images pour voir le temps . --- Atlas ou le gai savoir inquiet - L’Oeil de l’Histoire, 3 , Georges Didi-Huberman, Editions de Minuit