avant- portrait

Depuis l’été dernier, Ariane Chemin a un souci avec la littérature, ou tout au moins avec le monde littéraire. Depuis que Michel Houellebecq a fait donner la troupe, mobilisant ban et arrière-ban de ses proches et moins proches, cour de justice et plateaux de télévision compris, contre le feuilleton estival que la journaliste du Monde avait cru judicieux de lui consacrer. L’impétrante a réalisé qu’on peut avoir écrit sur ce que la sphère politico-médiatique compte de plus sulfureux, du Sarkozy du Fouquet’s à l’ineffable "croisé" Patrick Buisson en passant par les Strauss-Kahn, rien en France ne peut égaler en violence les réactions aux crimes de lèse-majesté littéraire.

Voici sans doute pourquoi, appelée à présenter son nouveau livre, ce Mariage en douce qui fut donc celui, le 16 octobre 1963 dans un petit village de Corse, de Romain Gary et Jean Seberg, elle s’empresse de préciser qu’il s’agit "d’un livre de journaliste, pas d’écrivain" (quelque temps plus tard dans la conversation, ne craignant pas la contradiction, elle fera part de son admiration pour le Sinatra a un rhume de Gay Talese, sans plus se poser aucune question frontalière entre journalisme et littérature). La belle affaire… Curieux quoi qu’il en soit que ce mariage de l’un des couples symboles des 60’s soit resté aussi ignoré de tous les biographes jusqu’ici et ait effectivement été organisé en catimini aux bons soins des services secrets français. Sans doute faut-il y voir, entre autres, la propropension de Gary à se noyer dans un verre de vodka de paranoïa…

Ces affaires de secrets ne sont de toute façon pas pour déplaire à Ariane Chemin. Non plus que ce mariage triste, à la sauvette, qui succède, ne lui en déplaise, dans sa bibliographie "littéraire" aux six enterrements (Georges Marchais, Alain Robbe-Grillet, Gérard Brach...) de Fleurs et couronnes (Stock, 2009). Non plus enfin que la Corse, dont l’amour qu’elle lui porte est peut-être le motif caché dans le tapis de ce récit.

L’attrait du dissemblable

Cette petite-fille de mineur, dont elle garde fièrement la lampe sur le linteau de sa cheminée, devenu pasteur gallois, dit que, "hormis l’enfermement insulaire, la Corse est l’antithèse du monde dans lequel j’ai vécu. Je ne suis attirée que par le dissemblable". On la croit sur parole puisque apparemment plutôt vive et dépourvue de toute mélancolie constitutive, elle aura tout de même passé sa vie à écrire sur des monstres, des morts, la noirceur hiératique qui mène des uns aux autres. C’est plus fort qu’elle, cette trop bonne élève d’une banlieue chic parisienne, khâgneuse à Condorcet, puis Sciences po (la promo 86, celle des Copé ou Beigbeder, à laquelle elle a consacré, à l’instigation de Jean-Marc Roberts, un livre fascinant chez Stock en 2004), avant l’entrée en journalisme et au Monde en guise de pas de côté. Elle n’a plus depuis réintégré le troupeau.

Olivier Mony

Ariane Chemin, Mariage en douce, Les équateurs. Prix : 18 €, 154 p. Sortie : 12 mai. ISBN : 978-2-84990-451-0

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