Le Suisse Peter Stamm est de ces talents qui ne roulent pas des mécaniques, de ceux à propos desquels on parle de modestie des effets, de subtil laconisme. Phrases sans construction sophistiquée, mots simples, personnages et motifs d'intrigue banals (le classique triangle amoureux dans Sept ans, son excellent précédent roman), suspense bâti sur trois fois rien... Toute cette frugale économie de narration est particulièrement efficace dans les formes courtes. Après Verglas et D'étranges jardins, on le vérifie une nouvelle fois avec Au-delà du lac, dont le titre fait référence au lac de Constance et à sa rive sud, région où est né l'écrivain en 1963. C'est là que se situent certaines des dix nouvelles de ce recueil dont le réalisme précis et mat est parfois teinté d'une légère touche de fantastique.
"Personne ne comprenait qu'elle n'avait pas fui, mais était tout simplement allée vers autre chose », cette citation tirée de "Dans la forêt", qui raconte l'histoire d'Anja, une fille qui a vécu trois ans dans les bois, résume bien l'état d'esprit de la plupart des "héros" de ces histoires. Aujourd'hui adulte, mariée et mère de deux enfants, la jeune femme ne parvient pas à oublier les années d'adolescence passées à aller au lycée le jour et à dormir la nuit, cachée dans la forêt sous une hutte de fortune.
Chez Peter Stamm, les relations humaines sont marquées par une incompréhension plus ou moins distante. Hommes et femmes élèvent entre eux des murs transparents de non-dits. Il raconte sans jamais expliquer les rêves amputés (le gardien d'un ancien site industriel reconverti en logements projetant une retraite au Canada), les êtres engoncés dans des vies décevantes (dans "L'ordre des choses", un couple sans enfants en vacances à Sienne est pris dans une guerre de tranchées avec la bruyante famille voisine), des quotidiens solitaires (celui d'Alfons, très jeune maraîcher bio qui voit s'installer un festival de musique en plein air dans un pré en contrebas de son exploitation)...
Peut-être l'un des secrets du charme qu'exerce l'écriture de Peter Stamm est de ne choisir d'éclairer qu'un pan de ses personnages et de laisser une grande partie d'eux et de leur histoire dans l'ombre, créant ainsi un hors-champ magnétique.