C’est un « petit livre », dit son éditeur Zoé, mais c’est un opuscule aussi modeste que rare, émouvant comme un détail dans un grand tableau. Et qui va combler les nombreux adorateurs de la secte Bouvier. Emouvant parce qu’il témoigne de la genèse d’un grand projet en donnant à voir les premiers pas de cette traversée de l’Asie en Fiat Topolino qu’ont accomplie dans les années 1950 deux très jeunes gens amis, anciens élèves du Collège de Genève : un étudiant en lettres et en droit, Nicolas Bouvier, et un peintre et graveur en formation, Thierry Vernet. « Viendras-tu aux Indes avec moi ? » a écrit le premier au second en 1948. Trois ans plus tard, ils sont sur le départ. Et cette première œuvre commune, qui réunit dans un portfolio à tirage limité trois textes de l’un - ses premiers textes «personnels», lui qui n’avait jusque-là publié que des reportages dans des journaux - et douze gravures de l’autre, si elle est d’abord destinée à faire connaître leur rêve et trouver l’amorce de son financement, résonne déjà comme un parti pris esthétique. Imprimé à 32 exemplaires dont six hors commerce et diffusé dans l’entourage des deux amis, ce livre d’artiste associe, pour la première fois, la ligne claire et un peu naïve du trait de Vernet aux mots entre rire et larmes de l’autre, sans lien de subordination entre les deux regards (Vernet n’« illustre » pas Bouvier). « Dimanche je t’ai fait un petit poème qui va comme ça », a écrit le «Vieux Nick» à son compagnon dans une lettre de novembre 1948 publiée dans la riche Correspondance des routes croisées (Zoé, 2010), et c’est ce poème, Tous les coqs du matin chantaient, amputé des deux derniers vers, qui donne son titre stimulant à cette création à quatre mains. Après moult mésaventures éditoriales, l’indispensable Usage du monde, textes signés Bouvier et dessins de Vernet, paraîtra douze ans après ce premier pas de deux.
V. R.