Littérature jeunesse

Liberté

Pas de doute, Beatrice Alemagna est lucide quant aux injonctions morales qui pèsent sur les livres pour enfants : contrainte de douceur, rejet de toute ambiguïté... Dans son vœu de s'affranchir de ce plafond de verre, elle invoque le mot de Tomi Ungerer : « Traumatiser pour faire grandir ». À propos de son album le plus primé, Un grand jour de rien (2016), elle juge « ambitieux de proposer le vide aux enfants, la solitude, l'ennui. Il faut glisser à leur oreille des secrets d'adultes. Pas les protéger. » Le livre doit être un espace de liberté. Des tabous comme le deuil ont été invités dans Les choses qui s'en vont (2019). Aussi un éditeur américain lui a-t-il demandé de retirer un personnage qui avait perdu ses cheveux...

 

Boue et lumière

Elle déclare un goût certain pour le terreux. « J'aime beaucoup le noir, le marron, la boue, les coulures. Un bon livre pour enfants doit toujours un peu sentir la terre. Les petits sont aussi attirés par ce qui n'est pas attirant. Ils voient en dessous de l'image, se frayent leur propre chemin, déchiffrent les strates. » Enfant, à Bologne, elle allait avec ses parents à la foire internationale. « C'est là que j'ai développé une sidération pour l'image que je ne peux pas sonder, déchiffrer. » Mais dans l'obscur, il lui faut des points d'ancrage de lumière, des contrastes, qu'elle nomme joliment « enthousiasmes chromatiques ».

Minestrone

« Je travaille à l'ancienne, loin de l'ordinateur. Je ne m'interdis rien : pastels, peintures à l'huile, fusain, aquarelles, collages et même broderies. C'est mon minestrone à moi. » À preuve, la longue robe de princesse en papier blanc qui pend au plafond et la peau de lapin accrochée au mur « Dans Adieu Blanche-Neige, il y a beaucoup de choses en lambeaux, effilochées, comme de vieilles dentelles. Je suis influencée par la tradition des arts populaires comme les pupi siciliens, ces marionnettes avec leurs armures. » Petite, elle avait un livre tchèque, dont elle se souvient encore. Les contes venus de Russie, des pays de l'Est et du Nord ont fondé son imaginaire.
 


Autodidacte

« Mon école à moi, c'est de faire mes livres. Il faut se mettre en danger. » Pas d'école d'illustration sur son CV, mais un cursus de graphisme dans son Italie natale. En 1996, elle remporte un prix au Salon de Montreuil. Un tremplin pour s'installer à Paris. La France la fascine, d'autant que l'illustration y est foisonnante, notamment chez les éditeurs du Seuil jeunesse, avec qui elle a débuté. Commence ensuite une longue collaboration avec de multiples éditeurs, dont Béatrice Vincent chez Albin Michel, qu'elle a suivie à La Partie, et Anaïs Vaugelade à l'École des loisirs.

Se réinventer

Elle se dit à un moment charnière. « Aucune envie de me répéter. C'est une situation inconfortable mais nourricière. » La découverte de Blanche-Neige dans l'édition de Grimm a été une révélation. « J'ai eu un besoin impérieux de peinture. » Elle a réalisé de grands tableaux noirs et marron, et son éditrice Béatrice Vincent lui a proposé d'en faire un album. Un pari qui va à l'encontre du conte. « Mon album épouse le point de vue de la reine jalouseC'est aussi un livre féministe sur l'acceptation du vieillissement. »

Beatrice Alemagna
Adieu Blanche-Neige
La Partie
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 25 € ; 96 p.
ISBN: 9782492768071

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