Bernard Pivot "Pourquoi quoi ?"

Bernard Pivot chez lui. - Photo OLIVIER DION

Bernard Pivot "Pourquoi quoi ?"

A 77 ans, Bernard Pivot signe le 20 septembre chez Nil son deuxième roman, Oui, mais quelle est la question ?, dans lequel son héros est atteint de questionnite aiguë. Un personnage pointilleux en la matière qui n'est pas sans lui ressembler.

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Par Marie-Christine Imbault
avec Créé le 23.10.2014 à 12h36

Livres Hebdo - Quelle question vous poseriez-vous ?

Bernard Pivot - A qui ? A moi ? Ah ! Je me demanderais : "Est-ce que tu as eu beaucoup de plaisir à écrire un livre qui ne ressemble pas du tout à ceux que tu as écrits précédemment ?"

Et la réponse ?

C'est évidemment oui. C'est là où l'on voit que c'est une question qui est dirigée par la réponse, car si la réponse avait été non, je n'aurais évidemment pas posé la question. Donc ce n'est pas une vraie question. Mais la réponse est oui parce que je découvre très tard dans ma vie le plaisir du romancier. Je vais paraître naïf, mais c'est vraiment la première fois où, d'un seul coup, sur un sujet avec un personnage, avec une certaine jubilation, une certaine rouerie, je mélange le vrai et le faux, les images de la mémoire et les projections de l'imagination, je mêle le vrai et le virtuel. Et donc j'ai eu plaisir à écrire ce que la plupart des écrivains savent faire, c'est-à-dire un roman.

C'est votre premier vrai roman ?

J'en ai écrit un à 21 ans (1) mais je n'ai pas gardé le souvenir de la manière dont je l'avais écrit. J'avais peu vécu à l'époque donc je ne pouvais pas mettre grand-chose de moi dans le livre, tandis qu'à mon âge je le peux. C'est ce mélange du vrai et du faux qui est assez amusant. Par exemple, glisser dans un vrai souvenir quelque chose qui appartient à un autre souvenir ou bien y mettre quelque chose qui est complètement inventé ; ou, inversement, glisser un souvenir dans une histoire totalement inventée. Cela a été pour moi une sorte de jubilation de le découvrir.

Etes-vous aussi respectueux des questions que votre narrateur ?

Oui. La preuve d'ailleurs, la première, je vous l'ai déjà décortiquée. Je vous ai dit que ce n'était pas une vraie question. Je respecte les questions car elles m'ont fait vivre. J'en ai posé des dizaines de milliers à des milliers de personnes, c'est un travail, une technique, un plaisir, une audace. C'est parfois prendre des risques. Soit on ne vous répond pas, et c'est frustrant, soit on peut vous répondre par un mensonge et on se paye votre tête. Vous pouvez aussi, en posant une question, causer une certaine peine à la personne que vous interrogez ou encore vous faire renvoyer dans vos starting-blocks par une réponse très méchante. Heureusement, je pense que la plupart du temps on obtient des réponses sincères aux questions.

Vous sentez-vous, comme Adam Hitch, le héros de votre livre, "moralement obligé de dire la vérité" ?

Effectivement, je suis quelqu'un qui finalement ne dit jamais de mensonge aux questions qu'on me pose. Ce qui ne m'empêche pas de dire des mensonges, comme tout le monde.

Alors, si je vous pose par exemple la question : "Comme votre narrateur, avez-vous vécu avec une attachée de presse de l'édition et quel est son nom ?", vous me répondez ?

Non, car il y a des questions qui relèvent de l'intimité et on ne peut pas y répondre. Mais je vous réponds, je n'ai jamais vécu avec une attachée de presse, jamais, jamais. Mais cela, vous le saviez, à vous on ne peut pas le cacher. Donc vous me posez une question dont vous connaissez la réponse. C'est encore une autre variété de question : vous me posez une question en pensant que je vais peut-être vous donner une réponse différente de celle que vous connaissez.

Adam Hitch dit à son frère : "Je ne crois pas que je saurai écrire un roman." Puisque vous ne mentez pas, pouvez-vous répondre à la question posée en quatrième de couverture, à savoir : est-ce un roman ou une autobiographie ?

C'est un vrai-faux roman ou une fausse-vraie autobiographie. Si c'était moi le personnage, je l'appellerais Bernard Pivot, or il s'appelle Adam Hitch, donc ce n'est pas moi. C'est un roman où il y a beaucoup de choses inventées, mais c'est l'esprit du livre qui est autobiographique. Pour tout vous dire, c'est un sujet que j'ai en moi depuis sept ou huit ans. J'ai essayé de l'écrire et je n'y suis pas arrivé. Je ne voulais pas écrire un roman, j'avais la trouille. J'ai d'abord essayé d'écrire un conte philosophique sur les questions-réponses. Après, j'ai tenté un essai, dont vous voyez d'ailleurs des extraits dans le livre. Et puis j'ai pensé faire un dialogue. Jusqu'à ce que je décide d'arrêter de tourner autour du pot et d'écrire un roman. C'était la seule façon de traiter ce sujet.

Dans le livre, Antoine Gallimard commande à votre double un livre sur les questions, mais vous, vous publiez le vôtre chez Nil, alors qu'Albin Michel est votre éditeur habituel. Pourquoi ce micmac d'éditeurs ?

La question importante, c'est "pourquoi Nil ?" puisque je suis chez Albin Michel. Tout simplement parce que Nicole Lattès est une très grande amie, et qu'elle a eu la pudeur, la gentillesse, de ne jamais me demander un livre, alors qu'on est vraiment intimes. Elle était pratiquement la seule. Et lors d'une réception de fin d'année chez elle, il y a deux ans, en cadeau et pour la remercier de sa retenue, je lui ai dit : "Je t'offre mon prochain livre." Quant à Gallimard, il m'a permis de parler de choses que je savais sur les questions et que je ne pouvais pas mettre dans le roman, comme par exemple une question que j'aime beaucoup : "Tu tires ou tu pointes ?" Pour l'intégrer, je me suis dit qu'Adam Hitch étant un journaliste connu, il a forcément interviewé Antoine Gallimard pour le centenaire de sa maison et que, du coup, celui-ci lui a demandé : "Pourquoi vous ne faites pas un livre sur les questions ?" C'était un moyen de placer dans ce livre, que je viens d'ailleurs d'envoyer à Antoine Gallimard, des extraits de cet essai que j'avais esquissé.

Plusieurs pages de votre livre évoquent l'âge, le temps qui passe, la vieillesse... Vous les redoutez ?

Les trois quarts du livre sont dans la légèreté et subitement le ton devient plus grave. Car Adam Hitch, qui raconte sa vie, arrive à 57 ans, et se rend compte qu'il va être obligé de répondre aux questions existentielles qu'il repoussait au fond du lit >depuis qu'il est né et qui reviennent comme un boomerang. A un certain âge, on fait le bilan de sa vie, ce sont des questions très aiguës, très personnelles, qui parfois occasionnent de la souffrance. Il y a une sorte de gravité à la fin car c'est un peu la mienne. Mais je vous jure que je ne suis pas aussi emmerdant qu'Adam Hitch.

A contrario, l'académie Goncourt où vous siégez rajeunit. Le plus jeune juré, Philippe Claudel, n'a que 50 ans. Ce renouvellement a-t-il changé les choses, comme semble le montrer le choix plus inattendu de la première sélection ?

Par rangs d'âge, de la place de huitième plus âgé lorsque je suis entré dans le jury, je suis devenu le deuxième, tout en restant dans la tranche des septuagénaires. Cela a forcément une influence. Quand je suis arrivé en 2005, il n'y avait eu aucun échange entre les académiciens avant la première réunion de rentrée. Cette année, c'était incroyable, si quelqu'un s'emballait pour un livre, les autres le lisaient. J'ai été impressionné par le travail des jurés, et la liste est née de nos lectures, elle est l'expression de nos choix. Les gens ont été étonnés de l'absence d'Olivier Adam. Il avait failli avoir le Goncourt il y a cinq ans, battu par Gilles Leroy au 14e tour seulement. Mais le jury a changé, et c'est sans doute ceux qui ont disparu qui avaient voté pour lui. Et je ne suis pas sûr que, deux ans après son prix Goncourt, Michel Houellebecq aurait eu son prix cette année.

L'académie Goncourt est donc réellement imperméable à toute pression ?

Moi, je n'ai jamais senti de pression. Mais je peux le dire vingt-cinq fois, on ne me croira pas. On peut le critiquer, mais c'est un jury foncièrement honnête, et j'ai l'oreille sensible à ces choses-là. Simplement, quand les hommes changent, les goûts changent.

(1) L'amour en vogue, Calmann-Lévy, 1959.

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