Foire de Londres

Bienvenue aux nouveaux riches

Bienvenue aux nouveaux riches

Mieux représentés que par le passé, les grands pays émergents ont été accueillis avec espoir à la Foire du livre de Londres par les éditeurs occidentaux affectés par la crise en Europe du Sud et les tensions provoquées par l’essor d’Amazon.

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Par Fabrice Piault
avec Créé le 11.10.2013 à 20h16 ,
Mis à jour le 03.04.2014 à 17h10

Avant démolition, Earls Court Exhibition Centre, le principal palais des congrès de la capitale, accueillera encore la foire du 8 au 10 avril 2014. La Corée sera l’invitée d’honneur.- Photo ANNE-LAURE WALTER/LH

On se moque volontiers de la formule parfois artificielle des « pays invités » dans les grandes foires du livre. Rien de tel pourtant cette année avec la Turquie à la London Book Fair. Du 15 au 17 avril, les éditeurs turcs ont abordé par dizaines une Foire du livre de Londres pourtant longtemps considérée, au contraire de Francfort, comme réservée aux échanges entre pays riches. Ils avaient conçu des stands modernes mettant en valeur une production renouvelée. Un signe « très positif » à quelques semaines du Salon du livre français d’Istanbul, du 26 au 31 mai, se félicite la directrice des droits de Gallimard, Anne-Solange Noble. « Dans un contexte de crise qui conduit à une présence moindre de certains pays, d’autres comme la Turquie, mieux représentés, deviennent des partenaires privilégiés », renchérit sa consœur d’Albin Michel, Solène Chabanais, qui enchaîne comme à l’ordinaire quelque cinquante rendez-vous sur trois jours. Pour la directrice générale de Gallimard Jeunesse, Hedwige Pasquet, « la Turquie connaît un développement très rapide ; ses éditeurs sont entrés dans une nouvelle phase, en particulier en jeunesse. Avec le Brésil, très très actif, et l’Asie, ils envoient un message encourageant pour l’avenir », poursuit-elle.

Autre « nouveau riche » accueilli à bras ouvert à Londres, le Brésil, invité d’honneur de la prochaine Foire de Francfort, est en effet représenté par une quarantaine d’éditeurs, selon le directeur du magazine professionnel en ligne PublishNews Brazil, Carlo Carrenho. Pour lui « quand l’économie va bien - et elle va très bien ! -, les éditeurs sont prêts à faire du shopping ». Si le stand collectif brésilien reste modeste, les éditeurs ont souvent réservé une table au centre des droits, qui a battu un record cette année avec 586 tables louées à 404 sociétés de 27 pays. Plusieurs responsables des droits français notent aussi la participation croissante des éditeurs chinois et russes.

Hyperactive.

Du coup, contre toute attente, la London Book Fair se révèle « hyperactive », se réjouit Hedwige Pasquet. « De toute façon, les éditeurs ont besoin de continuer le business », pointe Sophie Castille, directrice des droits du pôle image de Média-Participations (Dargaud, Dupuis, Le Lombard…), qui note un intérêt particulier pour les biographies en bandes dessinées. Elle remarque même que « de plus en plus d’Anglais veulent développer le roman graphique ». « Le lectorat anglo-américain a envie de lire autre chose, affirme l’agent français Pierre Astier. Depuis le début d’année, j’ai vendu cinq livres en Grande-Bretagne car il y a de nouveaux petits éditeurs anglais, bien plus audacieux que les gros. » Avant la foire, les scouts, chargés de repérer dans les catalogues français les coups pour les éditeurs étrangers, avaient mis l’accent sur le premier roman d’Agnès Martin-Lugand, Les gens heureux lisent et boivent du café. Autoédité en numérique à Noël, ce roman rappelant l’atmosphère d’Anna Gavalda est immédiatement entré dans les meilleures ventes d’Amazon. Les droits ont été achetés par Michel Lafon qui le publiera le 6 juin et l’a vendu dans le monde entier, suscitant même des enchères en Allemagne. « On ne sent pas trop les difficultés », lâche aussi Eric Sulpice, directeur éditorial d’Eyrolles, qui observe que « les éditeurs sont à la recherche d’idées originales ».

Signaux négatifs.

Sur le stand du Bureau international de l’édition française (Bief), la participation des Français est elle-même en hausse selon le directeur général, Jean-Guy Boin. « C’est le jour de l’année où je suis contente, s’exclame Héloïse d’Ormesson, fondatrice de la maison du même nom. Parce qu’on voit ici que, par rapport aux autres, les Français sont très en forme et le métier va très bien ! »

Pourtant, à l’ouverture de la manifestation, les signaux négatifs ne manquaient pas. Les Français, déjà marqués par le départ de la direction de Laffont de Leonello Brandolini, toutefois présent à la foire, ont été cueillis à froid par l’annonce sur Livreshebdo.fr des 19 suppressions de postes chez La Martinière. Répandues par les quelques éditeurs du pays encore présents, les informations sur l’état du marché espagnol, en recul d’environ 30 %, contribuent à l’inquiétude. « Nos partenaires européens, notamment les Italiens, sont très moroses », constate François de Waresquiel, à la tête de Citadelles & Mazenod. De plus, tout comme à Francfort (1), le niveau des cessions reste modeste. « L’affolement va moins haut, et sur les hot books des agences anglo-saxonnes les prix d’acquisition sont divisés par deux », note Philippe Robinet chez Kero. Cette baisse des prix de cession, conjuguée aux difficultés des éditeurs du Sud de l’Europe, explique aussi l’intérêt pour les pays émergents. Car il faut multiplier les contrats pour arriver à des sommes équivalentes à celles réunies autrefois sur la foire. Pendant la manifestation, le seul livre qui a vraiment suscité l’excitation était le thriller suédois Chain of events de Fredrik T. Olsson dont les droits pour le cinéma ont déjà été préemptés par Warner Bros et qui a été vendu dans huit pays. Les enchères françaises n’étaient pas closes à l’heure de notre bouclage. « Le changement, c’est qu’on est plus sur les textes et sur les auteurs, que l’on prend plus de temps pour se décider », analyse Philippe Robinet. Emmanuelle Vial, qui cherche à muscler le catalogue fiction d’Autrement, se réjouit de ce qu’elle a vu mais tempère : « L’an passé j’étais rentrée de la foire emballée et je n’ai finalement rien acheté ensuite. » Chez Bragelonne, Stéphane Marsand observe un « recadrage sur l’essentiel ».« En l’absence de vagues identifiables comme l’érotisme ou les vampires, les propositions se diversifient. Les auteurs reviennent au centre et priment sur la thématique du livre. »

Restent que les interrogations sur l’avenir du secteur et les tensions provoquées par l’échappée quasi en solo d’Amazon pour conquérir le marché mondial du livre constituent la toile de fond sur laquelle se déploient les échanges de droits. Ouvrant la 5e conférence « Digital Minds » dimanche 14 avril, à la veille de la foire, l’écrivain britannique Neil Gaiman estimait : « Amazon, Google et toutes ces sortes de choses ne sont pas l’ennemi. L’ennemi, maintenant, c’est simplement le refus de comprendre que le monde change. » Sam Husain, qui dirige la chaîne britannique de librairies indépendantes Foyles, tente de s’adapter. « Nous devons sans cesse expliquer notre valeur ajoutée pour justifier le prix des livres, explique-t-il. Tous les jours, je vois des clients photographier avec leur smartphone la couverture d’un ouvrage pour filer le commander sur Amazon ! »

Ami ou ennemi

?

Dès le lundi 15 avril, en fin de matinée, la société The Publishing Point organisait son « grand débat » annuel, avec vote à la clé, sur le thème « Amazon, ami ou ennemi ? ». Eoin Purcell (New Island Books) y plaidait que « Amazon est le symptôme du changement plutôt que le changement lui-même », au côté de Jennifer 8 Lee (Daily Lit/Plympton), pour qui « les lecteurs numériques sont des outils transitoires : Amazon domine ce marché mais il n’est pas certain qu’il domine encore à l’avenir ». En face, le directeur général de la Booksellers Association, Tim Godfray, sonnait la charge contre le commerçant en ligne, jugeant que « la concurrence est bonne jusqu’à un certain point », mais que « Amazon est parvenu à un niveau où il détruit le secteur ». Et l’écrivain Robert Levine soulignait que « si Amazon n’est pas un ennemi, c’est un faux ami ». Pédagogie et débats peuvent faire évoluer les mentalités. Dans la salle, les votes favorables à Amazon, qui atteignaient 61 voix (41,8 %) avant le débat, sont descendus à 59 (33,5 %) par la suite. < A.-L. W. et F. P.

(1) Voir LH 926 du 19.10.2012, p. 12-14.

Le marché anglais bascule du côté numérique

En cinq ans, le chiffre d’affaires des livres imprimés a baissé de 16 %. Et en 2012, les librairies en ligne ont vendu davantage de livres que les magasins physiques.

Selon Bowker Market Research, qui présentait à la fin de mars les résultats de l’étude 2012 « Books and Consumers », les consommateurs britanniques ont acheté, tout support confondus, 296 millions de livres l’année dernière, pour une valeur de 2 108 millions de livres sterling. Cela représente une baisse d’environ 1 % par rapport à l’année précédente. Les ventes de livres numériques, à 125 millions de livres sterling, affichent elles une hausse de plus de 100 % par rapport à 2011.

La baisse des ventes globales, qui fait suite à celles enregistrées en 2009, 2010 et 2011, se monte à 10 % par rapport à 2008. Les livres imprimés ont représenté plus de 90 % des achats globaux en 2012, tout en connaissant une baisse de 16 % en cinq ans.

En volume, les livres numériques ont correspondu à 11 % des achats, et même 12 % au troisième trimestre. Toutefois, au quatrième trimestre, malgré les fêtes de fin d’année, les ventes ont chuté de 10 % : les consommateurs continuent à considérer les livres papier comme plus appropriés aux cadeaux. Cependant, la part des romans numériques a augmenté pendant toute l’année, de sorte qu’au quatrième trimestre près d’un roman sur cinq s’est vendu en format numérique, par rapport à moins d’un sur huit à la fin de 2011.

Au détriment du poche.

Les achats d’ebooks se sont faits au détriment des ouvrages en format poche : en 2010, près de 90 % des romans pour adultes vendus étaient des poches, tandis qu’en 2012 ce n’était plus le cas que de deux sur trois seulement.

La part des livres numériques dans les achats de livres pour jeunes adultes a continué de grimper en 2012, atteignant 11 % en volume pendant le quatrième trimestre. En revanche, les ebooks ont eu peu d’impact sur le marché pour la jeunesse (de 0 à 12 ans), qui n’a à aucun moment représenté plus de 2 % des achats. Si l’on fait abstraction des livres numériques, les dépenses sur les livres jeunesse ont baissé de 4 %. Quant aux documents pour adultes, moins de 7 % des achats se portaient sur des ebooks.

En 2012, les femmes ont acheté davantage d’ebooks que les hommes : près d’un livre sur huit achetés par des lectrices était un livre numérique ; pour les hommes, c’était un livre sur onze.

La hausse des achats de livres numériques a accéléré le glissement en faveur des achats en ligne qui, en 2012, ont représenté 42 % des achats de livres en volume, par rapport à 36 % en 2011, le double de 2008.

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028 adhérents.

Pour la première fois, les sites Internet sans librairie physique ont vendu davantage de livres que les librairies physiques. En revanche, les librairies indépendantes et les chaînes spécialisées l’ont emporté en valeur sur les sites sans librairie physique, surtout en ce qui concerne les livres papier. Quoi qu’il en soit, le marché du livre numérique est réalisé à 95 % par des sites Internet pure players.

Même si beaucoup de librairies indépendantes ont fermé leurs portes - l’association de libraires ne compte plus que 1 028 adhérents indépendants, par rapport à 1 535 en 2005, dans un contexte où plus de 7 300 commerces dans les centres-villes britanniques ont disparu en 2012 -, les consommateurs font preuve d’une préférence très nette pour une « vraie » librairie comme lieu de découverte. Deux fois plus d’achats ont résulté d’une période de flânerie dans une librairie que d’une recherche en ligne. Cette préférence vaut pour les ebooks comme pour les livres papier. Les librairies des centres-villes, indépendantes ou appartenant à une chaîne, représentaient toujours 39 % du marché en valeur, un peu plus que les sites Internet sans librairie physique, par rapport à 19 % pour les supermarchés et d’autres commerces non spécialisés. < Vivienne Menkès-Ivry

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