Course folle. Après un premier roman très remarqué publié aux éditions Inculte en 2022, L'apparence du vivant, Charlotte Bourlard signe une nouvelle intrigue complètement loufoque au rythme hyperaccéléré. Dans À trois, on saute, Marie forme un « vieux couple » avec Rachel. Elles habitent sur un bateau, une vieille vedette rouge hollandaise amarrée à quai qui ne prend jamais le large. Elles vivent de vols à l'étalage et d'escroqueries en tous genres. Leur lieu de prédilection pour leurs activités fort lucratives ? Le train. C'est là qu'elles repèrent les proies idéales : des personnes seules qui n'attendent que d'échanger quelques mots le temps du voyage. Aucun scrupule chez les deux filles, dont l'imagination délirante et la capacité à enchaîner les duperies laissent penser qu'elles-mêmes croient en leurs propres mensonges. Même leurs prénoms ne sont pas réels mais empruntés, pour l'une, à la Vierge, pour l'autre, au personnage interprété par Whitney Houston dans Bodyguard. Sans limites, elles sont capables de s'attaquer à une vieille dame à qui elles annoncent qu'elle a été victime d'un vol de carte bleue (qu'elles sont précisément en train d'orchestrer), avant de l'accompagner au commissariat puis de vider son compte en banque. « Les gens sont gentils avec nous par solitude, la plupart du temps. »
Passant de lubie en lubie sans prise de distance ni aucune réflexion, Marie et Rachel jouissent en permanence du mal qu'elles vont pouvoir causer autour d'elles, s'attachant à fuir absolument la moindre émotion ou tout objectif à long terme. « Vous faites quoi dans la vie ? On est des dégénérées. » C'est ainsi qu'elles mènent une existence fantasmatique, détruisant tout sur leur passage au gré de leurs pulsions - une envie de cookies, de paillettes, d'un resto chic ou de rhum - et en improvisant leurs coups sans jamais se retourner, mais toujours sur le fil. Tout autour d'elles, les faux-semblants règnent. Et très vite, elles s'entraînent dans une suite d'événements plus rocambolesques les uns que les autres, où rien ne semble bien réfléchi mais où tout finit par prendre une forme finement orchestrée, jusqu'au point de non-retour. Car derrière ces deux professionnelles de l'arnaque se dissimulent en fait deux gamines enferrées dans le passé, et en particulier dans des enfances saccagées. Et lorsqu'un jour une de ces situations leur échappe, alors qu'elles sont allées trop loin sans prévoir la réaction de leur victime, fermer les yeux et rebondir comme elles en ont l'habitude sera bien difficile.
Charlotte Bourlard démarre son récit in medias res et le poursuit dans un souffle continu, sans respiration, au rythme de la course folle de ses personnages. À mesure qu'il apparaît que toute fuite est impossible, la dimension comique, enivrante et jouissive de l'intrigue s'estompe progressivement pour laisser place à l'angoisse. Un roman qui se lit d'une traite.
À trois, on saute
Au diable Vauvert
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19 € ; 232 p.
ISBN: 9791030707212