D'une voix calme, douce même, la narratrice du premier roman de Claire Oshetsky dit qu'elle a rêvé avoir fait l'amour avec une chouette. Ce ton de détachement suave ne fait qu'augmenter l'atmosphère d'étrangeté de son histoire. Si elle ne s'appesantit guère sur les détails de ses ébats contre-nature, l'héroïne de Chouette poursuit sa confession fantastique en relatant avec force acuité toutes les conséquences de cette union : un « enfant-chouette » dans le ventre. Ce qui commence comme un drôle de journal de grossesse devient au fil des pages une peinture assez grinçante de la famille américaine moyenne. Famille lato sensu, à savoir la belle-mère, le beau-père, les beaux-frères, leurs femmes, leur progéniture - tous figurent dans le tableau. Le pater familias en bretelles, ex-sommité juridique locale, est officiellement le Salomon tout-puissant mais comme il perd la boule et qu'il s'agit de prétendre le contraire dans ces familles où l'hypocrisie est reine, c'est la matriarche qui préside au barbecue annuel réunissant ce clan de géants (ils ressemblent à « une équipe de joueurs de waterpolo scandinave »). La narratrice qui a épousé le benjamin et le plus petit de la fratrie (un peu moins de deux mètres) est quant à elle minuscule, ce que son nom Tiny signifie en anglais. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas tant la taille qui préoccupe la future maman, que de donner naissance à un enfant oiseau de nuit. De quoi va-t-elle accoucher ? D'une sorte de monstre lynchien façon bébé d'Henry dans Eraserhead ?
D'Ésope à Kafka, de La Fontaine à Orwell, les animaux ont été de bons masques pour les écrivains, ou le truchement de leur vision de la condition humaine. Claire Oshetsky, de son propre aveu, dit que ce livre témoigne de son expérience personnelle. Ainsi s'interroge en ventriloque la narratrice violoncelliste qui sent qu'elle ne maîtrise plus son instrument ni rien d'autre autour d'elle : « C'est donc ça, la maternité ? Être inlassablement remise en question par la volonté obstinée d'un être sans logique ni raison, qui finit toujours par gagner ? »
Le bébé strigidé est né. Et le texte d'évoluer en une adresse poignante de la mère à sa fille Chouette, que le père s'obstine à appeler Charlotte, comme s'il voulait nier sa singularité. La lutte de Tiny est double : contre sa belle-famille qui entend forcer sur chacun le carcan de la « normalité », et contre elle-même, combat intérieur pour recouvrer sa sérénité. Chouette est une métaphore de la diversité neurologique, de la situation des parents qui ont des enfants pas comme les autres. Un bel éloge de la différence sous forme de fable poétique.
Chouette Traduit de l'anglais (États-Unis) par Karine Lalechère
Phébus
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 21 € ; 288 p.
ISBN: 9782752912732