Chaque famille a son empreinte particulière, qui s'imprègne tel un tatouage indélébile dans l'esprit de ses membres. Dans le cas de Claudia Durastanti, elle est teintée d'aliénation, du moins aux yeux de la société.
Le roman autobiographique de cette auteure italienne - qui a concouru pour le prix Strega - raconte cela comme une aventure. Celle d'une identité souvent réduite à une composante unique : « J'étais "la fille de la muette" ». Comme si la surdité de sa mère l'engloutissait dans un univers flou, voire fou. On lui demande d'ailleurs souvent, « Qui t'a appris à parler ? Comme si j'avais grandi dans la forêt... » Claudia a plutôt évolué entre deux continents et deux parents déchirés. Tout avait pourtant bien commencé, puisque chacun d'entre eux prétend avoir littéralement sauvé l'autre. Peu importe qui détient la vérité, puisque la figure maternelle n'aime pas les fictions.
Ce duo bohème pensait pouvoir vivre d'amour, d'art et de rêves, or la réalité s'est imposée malgré leur envie de se débrouiller. « Les handicapés - tous les mots pour les définir sont faibles, inappropriés - sont une minorité cachée. » Or tôt ou tard, « nous finissons tous par être handicapés. » Les parents de la protagoniste sont sourds-muets alors ils sont parfois freinés dans leur élan. Leurs embrouilles aboutissent à un divorce tumultueux. Claudia en fait les frais, lorsqu'elle quitte son Amérique natale pour l'Italie. À ce titre, elle subit plusieurs rejets. « Étranger, c'est un mot très beau si personne ne vous oblige à l'être ; le reste du temps c'est le synonyme d'une mutilation, c'est un coup de pistolet. » Il l'atteint de plein fouet, parce qu'elle perd en partie son père, sa terre et sa langue.
En exergue de ce livre, elle a choisi une phrase de la nouvelliste Lorrie Moore : « La mutilation est un langage. Et vice versa. » Aussi Durastanti doit-elle composer son propre puzzle pour trouver le sien. Une quête labyrinthique au cœur de ses racines familiales, sociales et personnelles. « Qu'est-ce que le handicap dans un noyau familial où tout le monde parle de manière différente ? » Une bonne école pour en faire un matériau littéraire qui prend son envol entre ces pages.
L'étrangère Traduit de l'italien par Lisa Chapuis
Buchet Chastel
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 20 € ; 288 p.
ISBN: 9782283033722