Claudie Hunzinger dit avoir été « élevée par une bibliothèque », selon la formule de Jules Renard qu'elle a mise en exergue d'Elles vivaient d'espoir (Grasset, 2010), le premier des deux romans où elle évoque la jeunesse de sa mère, Emma. C'est à cette villageoise de Côte-d'Or passée par l'école normale de Dijon et devenue professeure de lettres, dont elle a raconté ensuite, dans L'incandescente (Grasset, 2016), le premier amour avec la fantasque Marcelle, que l'écrivaine doit son goût de la littérature et de la liberté.
Ex-« enfant terrible », Claudie Hunzinger qui écrivait dès 1953 ses premiers livres de poèmes qu'elle illustrait et reliait, a enseigné le dessin jusqu'en 1973 à Colmar où elle est née. Avant de démissionner de l'Education nationale et d'entamer à partir des années 1980 une recherche plastique qui explore la relation entre livre et végétal. Ce seront notamment ces Pages d'herbe géantes exposées dans une médiathèque de Strasbourg ou la série des Bibliothèques en cendre...
Se rendre invisible
Claudie Hunzinger est avant tout la femme d'un lieu. Un « lieu spécial », en retrait, secret, dans le massif des Vosges. Une ferme, « l'une des plus hautes de la vallée ». « De roman en roman, je lui donne un autre nom. Une fois Bambois. Une fois La Survivance. Nous voilà aux Hautes-Huttes. Mais c'est toujours la même maison. Ou alors le même rêve de maison », décrit-elle dans Les grands cerfs, son dernier roman. Dans ce refuge où l'artiste habite avec son compagnon Francis depuis plus de cinquante ans, et qui a inspiré son premier récit, Bambois, la vie verte, elle crée, écrit, vit : tout est relié. De là elle observe le monde au loin et scrute le sien au plus près. Notre consœur Fabienne Jacob, qui fait une apparition dans ce roman, dit d'elle que c'est l'un de nos plus grands auteurs de nature writing. Pas besoin d'aller chercher les grands espaces dans l'Amérique des pionniers : ces montagnes d'Europe, avec lesquelles Claudie Hunzinger a une intimité organique, paraissent aussi sauvages que les Rocheuses ou les Appalaches. Et puis aller « in the indian way » est depuis longtemps la devise de cette aventurière sédentaire.
Dans La Survivance, paru en 2012, un couple de libraires en faillite choisissait l'exil et la frugalité à 1 000 mètres d'altitude, avec pour seule compagnie une chienne et une ânesse nommée Avanie. Dans la réalité, l'ânesse des Hunzinger s'appelait... Utopie : un manifeste de vie. Les cerfs étaient déjà là, annonçant Les grands cerfs où son double de fiction, surnommée Pamina, en voit passer un devant les phares de sa voiture en remontant chez elle un soir d'automne : « un tonnerre de beauté a traversé le chemin d'un bond ». Avec Léo, un jeune photographe « hanté » par ces habitants primitifs des forêts, elle découvre « "l'effet Affût" : le monde arrive et se pose à nos pieds comme si nous n'étions pas là. Comme si nous n'étions pas tout court. On constate que le monde se passe de nous. Et même davantage : il va mieux sans nous ». Planquer des nuits entières, immobile pendant des heures, se rendre invisible sous un camouflage de feuilles, sonder à la jumelle l'obscurité des vallons... Ce roman, où humains et animaux sont mis sur le même plan, n'est pas seulement magnifiquement contemplatif. Une menace plane. Polar écologique, aussi bien : « C'est le premier livre engagé que j'écris ».
Les grands cerfs
Grasset
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 17 euros
ISBN: 9782246821373