26 août > Essai Angleterre

C’est un fait, la France aime les idées. Et pas toujours les bonnes, comme le démontrent les récents débats autour de l’identité nationale, l’islam ou Charlie. Mais pourquoi sommes-nous donc si à cran avec les opinions, surtout avec celles des autres ? Un historien britannique est allé y voir de plus près. Il connaît bien la France. Membre du jury du prix Guizot, il a déjà exploré deux grandes figures nationales élevées au rang de mythes : Napoléon (La légende de Napoléon, Tallandier, 2006, repris chez Points) et de Gaulle (Le mythe gaullien, Gallimard, 2010).

De Descartes, pour la raison, à nos jours, pour la déprime, il examine avec empathie ce pays qui s’enorgueillit de posséder une catégorie sociale unique au monde : les intellectuels, même s’ils sont aujourd’hui en phase terminale après un XXe siècle flamboyant. Sudhir Hazareensingh redessine le tableau de cette nation qui cultive le paradoxe et l’oxymore, affiche ses révolutionnaires conservateurs, ses extrémistes modérés et ses missionnaires laïcs, se passionne pour les notions générales, les néologismes, les classifications, les discussions pour le plaisir, les préliminaires sans conclusions et montre une vivacité d’esprit assez peu commune pour traiter des questions obscures.

Par les faits, les citations, les situations, on comprend que cet essai est aussi destiné à un public anglo-saxon. Ce qu’il nous dit, nous le savons déjà, mais c’est sa manière de le dire qui en fait la saveur, cette façon de montrer comment le rationalisme et le mysticisme cohabitent dans nos têtes. Face à la mondialisation, la France doute de son avenir, de ses capacités et même de son républicanisme après les attentats de janvier 2015. On comprend mieux ce pessimisme hexagonal mais aussi pourquoi nous sommes le "plus intellectuel de tous les peuples" en lisant ce Britannique d’origine mauricienne.

L’auteur, professeur de sciences politiques à l’université d’Oxford, s’inscrit dans la lignée d’un Tony Judt qui avait si malicieusement épinglé les intellectuels français avec leur désir d’utopie salvatrice et leur stupéfiante plasticité à intégrer les doctrines totalitaires au nom du débat démocratique. Sudhir Hazareensingh montre que tous les concepts clés sont là depuis 1789, que la passion de la liberté est toujours vivace et que dans le domaine pourtant si volatil des idées nous passons vite du 6e arrondissement parisien à l’humanité. Car depuis les Lumières, la France a une aspiration à penser l’universel. On savoure donc cet exercice d’admiration autant pour ce qu’il nous dit de nous-mêmes que pour ce qu’il nous révèle de l’envie des autres. L. L.

22.05 2015

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