lire le début du texte La critique de la critique Pour lui, il ne s’agit pas d’être didactique, de démontrer au dominé qu’il est dominé pour le faire agir. Par le bel exemple d’une description d’un torse antique par Winckelmann, de quelques mots de Rilke sur un autre torse, et le récit de la journée d’un ouvrier, qui, pour quelques instants, levant les yeux de la tâche assignée, n’étant plus seulement un corps occupé, regardant par la fenêtre, recevant alors par la grâce de la perspective une autre occupation et une nouvelle capacité, il montre le changement à l’oeuvre dans la suspension, la discontinuité, la séparation. La surface, le lointain, nous disent de “changer de vie”. Il faut “se faire un corps voué à autre chose qu’à la domination”, un lieu, une fiction, dont les partages d’espace et de temps, les modes de présentation sensible, opèrent le travail de dissensus. Il nous rappelle que “le réel est toujours l’objet d’une fiction. (...) C’est la fiction dominante, la fiction consensuelle, qui dénie son caractère de fiction en se faisant passer pour le réel lui-même. (...) Critique est l’art qui déplace les lignes de séparation”, qui introduit la distance esthétique, entrelace et équilibre les logiques. Les possibles sont alors déplacés, les capacités redistribuées. Au départ, à l’arrivée : l’image Si toute image dénonciatrice (et tout spectateur) participe du système de domination qu’elle produit (dont il est le produit), “si toute image montre simplement la vie inversée, devenue passive, il suffit de la retourner pour déclencher le pouvoir actif qu’elle a détourné”. La parole est image, l’irreprésentable doit être représenté. “Le problème n’est pas de savoir s’il faut ou non faire et regarder de telles images [intolérables], mais au sein de quel dispositif sensible on le fait”. Il n’y a pas de ligne droite entre perception, affection, compréhension et action. Prenant pour exemple la photographe Sophie Ristelhueber qui nous montre des pierres qui sont des ruines, des éboulis, une frontière sur une route palestinienne (au lieu du grand mur de séparation construit par les israéliens) et suscite notre attention, notre curiosité, en variant sur l’objet et la distance, techniquement, théoriquement, il démontre que “les images changent notre regard et le paysage du possible si elles ne sont pas anticipées par leur sens et n’anticipent pas leurs effets”, comme suspendues, “pensives”. “La pensivité désignerait ainsi un état indéterminé entre le passif et l’actif”, une image pensive serait “de la pensée non pensée, non assignable”, et notre réceptivité serait un agir. Rancière remonte alors le temps : Rineke Dijkstra (photo, Kolobrzeg, Poland, July 26, 1992 ), Walker Evans ( Kitchen Wall in Bud Field’s House , 1936), Flaubert ( Madame Bovary , 1857), Hegel ( Esthétique , 1818-1829), et revient au Torse de Winckelmann (1717-1768), “dont la pensée elle-même s’exprimait toute entière dans les plis du dos et du ventre dont les muscles s’écoulaient les uns dans les autres comme les vagues qui s’élèvent et retombent. (...) La pensée est dans les muscles qui sont comme des vagues de pierre”. Enfin s’élabore un nouveau type de figure esthétique, évoquant le baroque, dans l’entrelacement et la distance, “émancipée de la logique unificatrice de l’action”, du récit. C’est le temps de l’art vidéo, du mix, du sample, des nouveaux médias électroniques et informatiques, des fictions expérimentales, des oeuvres qui se parlent les unes dans les autres. C’est une course après la vie, dans l’espace et le temps, à travers l’histoire. Le penseur, l’artiste en coureur désordonné qui se précipite sur des pages qui s’envolent.