Que l'on n'y voie aucun appel à quelque anthropophagie littéraire, mais le troisième roman publié en français (et le premier aux éditions Lattès) de Daniel Mason, Au nom de Margarete, se dévore de la première à la dernière page. L'auteur américain, médecin psychiatre par ailleurs, s'y révèle comme un grand conteur, n'ayant pas peur de se confronter à l'Histoire pour nous en offrir une, d'amour et de destruction, qui peut rappeler la grâce lyrique et précise à la fois d'un Docteur Jivago.
Au début du siècle dernier, un fils d'une grande famille de l'Empire austro-hongrois, Julius, se destine à de studieuses études de médecine. Ce qu'il ignore, c'est qu'il fait partie d'une génération dite perdue, fracassée par le déclenchement de la première guerre mondiale qui vient mettre fin à l'Europe rimbaldienne des « anciens parapets ». Julius s'engage alors comme médecin militaire. De la pratique de son métier, surtout en temps de conflit, il ignore tout. Qu'importe, le voici à la frontière de la Ruthénie et de la Pologne, dans une ancienne église reconvertie en hôpital militaire tenu d'une main de fer par une infirmière et nonne, Margarete. Là, notre jeune héros va faire son apprentissage en accéléré. Amputations, trépanations et autres syndromes post-traumatiques vont devenir son quotidien. Dans le même temps, du cœur de ce désert hivernal vidé de toute idée d'humanité, il sent croître en lui ce qui pourrait s'apparenter à un sentiment amoureux pour sœur Margarete. L'arrivée dans leur dispensaire de fortune d'un soldat mutique changera le cours sinon de l'Histoire, du moins de la leur, révélant in fine un amour aussi impossible que partagé.
Cette saga sur fonds de corps torturés et de mondes qui s'effondrent offre à Daniel Mason la possibilité de nous révéler toute l'étendue de sa maestria romanesque. En a-t-on déjà lu pourtant des livres aux ambitions identiques et qui ne sont que fabrication et poudre aux yeux des lecteurs ? Rien de cela ici, parce que l'auteur, peut-être de par sa propre formation de médecin, s'y entend à merveille pour faire sentir l'odeur prégnante de mort, de souffrance et celle plus diffuse du désir qui lient ses deux personnages principaux. Amants terribles, Julius et Margarete ne sont pas près de s'effacer de nos mémoires. Ce doit être ça l'amour. Celui qui lie un livre à son lecteur.
Au nom de Margarete Traduit de l'anglais (États-Unis) par Françoise du Sorbier
JC Lattès
Tirage: 7 500 ex.
Prix: 22,90 € ; 400 p.
ISBN: 9782709665353