Tout commence avec un homme riche et amoureux. Il s’appelle Jeremiah Mendelstrum, il est américain et éperdu de douleur. Sa femme est morte. En sa mémoire, il décide, pour soulager un peu sa peine, de faire un don à la ville de Safed en Galilée afin que celle-ci construise un bain rituel qui porterait le nom de l’épouse disparue. Réuni en urgence, le conseil municipal décide, bien qu’il ne manque en rien de pareils sites, de faire droit à sa demande et d’ériger le bain dans le vaste terrain vague appelé "la Sibérie" qui doit accueillir un bus de réfugiés russes fuyant les persécutions antisémites en leur pays. Le maire de la ville a une idée : favoriser le développement économique de sa commune, mais aussi faire la connaissance d’une éventuelle réfugiée caucasienne aussi jeune qu’esseulée, susceptible de soulager son célibat. Las, les migrants qui se présentent en Terre promise auront tous largement dépassé l’âge requis comme Anton et Katia venus rejoindre leur petit-fils ou Wladek décidé à faire profiter son pays d’accueil de son expérience dans le cinéma auprès de Nikita Mikhalkov… Qu’importe, le bain sera construit et chacun -Yona, une professeure de clarinette, Naïm, un jeune Arabe israélien qui dirige les travaux, Yahelet et Mochik partagés entre leurs pieuses aspirations et les feux mal éteints d’une lointaine passion - en verra sa vie bouleversée. On parlera aussi d’espionnage militaire, des oiseaux, d’érections perdues ou de voyages vers l’Inde ou le Costa-Rica ; d’un pays qui ne sait plus à quel sein ou saint se vouer, ni comment à l’heure d’un quotidien moralement corrompu, faire vivre le message des pionniers.
Parmi les romanciers israéliens de la génération qui a succédé à celle des Amos Oz ou David Grossman, Eshkol Nevo, au moins depuis la parution de Neuland (Gallimard, 2014), ample état des choses d’une société bouleversée, est considéré comme le plus important. Ses lecteurs (pas encore assez nombreux en France) ont aussi découvert en lui lors de la parution du Cours du jeu est bouleversé (Gallimard, 2010) un maître du roman choral. Avec ce tendre et sardonique Jours de miel, il le confirme brillamment. Chacun l’aura compris, il s’agit d’une comédie, noire, brillante, qui n’est pas sans faire penser au meilleur de la comédie sociale italienne sur grand écran. Ces affreux, sales et méchants sont tout de même sauvés par leur infinie et paradoxale humanité, leur solitude aussi. Petit-fils d’un ancien Premier ministre, Nevo ne change pas de sujet : c’est d’Israël, de son rêve chaque jour fracassé, dont il est ici magnifiquement question. Olivier Mony