Grande figure universitaire américaine, intellectuel de renom, passionné par la France et sa culture et sa littérature, Thomas Bishop est mort le 2 janvier dernier à New-York. Né à Vienne dans une famille juive, c’est l’Anschluss, l’invasion allemande de l’Autriche par Hitler en 1938, qui fait fuir sa famille. Elle part alors trouver refuge en Hongrie, avant de s’installer quelques temps à Paris avant de s'exiler définitivement pour les États-Unis en mai 1940, un mois avant la signature de l’armistice par Pétain. Chez Tom Bishop, les souvenirs de ce succinct passage en France n’auront de cesse de remuer son rapport à l’identité : en quelque sorte trahi par son pays natal, il continuera par exemple de parler le français avec son frère, comme s’il refoulait l’allemand.
Avec la France et le français, qu’il apprend d'ailleurs très rapidement quand il arrive à Paris, c’est l'idylle puisqu'il sera pendant 63 ans directeur du département de français de l’université de New-York (NYU), dont il avait retranscrit son journal dans Le passeur d'océan (Payot, 1989).. Dès 1959, il devient aussi directeur de la Maison française à la NYU. François Noudelmann, l'actuel directeur du centre culturel, regrette ainsi le « plus grand passeur de la pensée et de la littérature française aux États-Unis ». Passionné de théâtre, et de Beckett tout particulièrement (jusqu'à donner le nom du dramaturge à son chien), Tom Bishop s'était épris d’amour aussi pour le Nouveau Roman et son avant-garde : il a pu ainsi rencontrer Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Claude Simon et Robert Pinget...
Informel ambassadeur culturel, Thomas Bishop a fait traverser les idées, et les personnes qui les avaient, de part et d'autre de l'Atlantique. Animateur de rencontres culturelles et de cénacles, il a notamment su accompagner la French Theory dans le monde universitaire américain dans les années 1970 représentée entre autres par Michel Foucault, Jacques Derrida, Gilles Deleuze, Julia Kristeva... Véritable pont entre deux cultures, Tom Bishop a fait converser deux pays durant plus de 60 ans, jusqu'à être qualifié par François Mitterrand lui-même "d'instigateur des rapports franco-américains". Il a été aussi proche de plumes notoires et majeures comme Ionesco, Beckett, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud… Dans un livre paru en 2021, La littérature est un voyage de découverte (Diaphanes), il retrace son fabuleux parcours et son insatiable appétit de découverte à travers une discussion avec l’universitaire et philologue Donatien Grau.