Signe des temps meurtris : les jeunes esprits ont tout particulièrement besoin de mettre des mots sur l’indicible. Certains éditeurs n’hésitent plus à parler terrorisme et guerre aux 7-10 ans. En octobre, Castor Poche (Flammarion) rendra un hommage vibrant aux victimes du terrorisme de 2015 dans un conte en forme de parabole, Le village aux mille roses de Philippe Nessmann. Ces initiatives restent toutefois isolées : la plupart du temps, la fiction pour les jeunes lecteurs revendique fantaisie et humour, malgré un contexte difficile. A preuve, l’album Le président du monde de Germano Zullo et Albertine (La Joie de lire) où le Président ne sait plus quoi faire de ce monde qui va de guingois. Comme d’habitude, il appelle sa mère qui lui conseille de ne surtout rien faire et de venir manger le gigot avant qu’il soit froid. Matière à réflexion pour nos gouvernants.
Comme tous les ans, l’album jeunesse peut faire la roue du paon, tant ses pages sont colorées et créatives. Les éditeurs, petits et grands, rivalisent d’originalité. Sarbacane mise sur trois virtuoses de l’album jeunesse : Rebecca Dautremer, Max Ducos et Pierre Créac’h. Memo édite, entre autres pépites, l’excellent Un trou, c’est pour creuser, illustré par Maurice Sendak. On découvrira la réjouissante nouvelle série pour les 3-6 ans à paraître le 18 octobre au Seuil La vie de Smisse d’Isabelle Chavigny, Yvan Grinberg et Marie Caudry, ou Le joyeux abécédaire de Maria Jalibert (Didier Jeunesse) qui réinvente avec humour, fantaisie et poésie les codes du genre. La plasticienne utilise de petits jouets recyclés pour l’illustration et commet de drôles de textes comme "B comme Balèze qui porte un brontosaure".
L’écologie poursuit sa belle percée dans l’album jeunesse et les arbres apparaissent comme les grands bien-aimés de la rentrée avec, par exemple, la nouvelle collection "A l’abri" (du saule, du sapin…) aux éditions du Ricochet, ou encore des albums comme le magnifique Les souvenirs du grand chêne (Milan) ou Un arbre pour ami (Gallimard Jeunesse).
Mettre un nom sur un sentiment
Les contes, eux, se comptent par dizaines. Quelquefois ils sont originaires d’horizons lointains, contes berbères chez Didier Jeunesse, contes du Burkina Faso chez Glénat Jeunesse ou du Chili chez Actes Sud Junior. D’autres fois ils sont bien de chez nous, mais méconnaissables car détournés. Dans le genre, le plus drôle est sans doute ce Petit chaperon belge de Camille de Cussac (Marcel & Joachim, voir notre avant-critique dans LH 1094 du 26/8/2016, p. 64) qui part ce tantôt de la baraque à frites pour rejoindre son grand-père. Dans le registre des langues régionales, on pourra lire un Mini-Loup de Philippe Matter (Hachette Jeunesse) en version alsacienne.
Dep uis quelque temps déjà, les auteurs d’albums n’hésitent plus à défricher des sujets restés tabous. En cette rentrée, si l’on voulait donner la palme à l’album le plus iconoclaste, ce serait sans hésiter à la réédition de Léon l’étron (Thierry Magnier), dans lequel le dessinateur Killoffer, dans une dominante de teintes marron assez réalistes, campe un excrément au demeurant plutôt attachant. On appréciera l’humour du sous-titre : "Un livre très marron en cacamaïeu". Qui dit mieux ?
Puisqu’on est au stade anal, on signalera l’influence grandissante des psychologues sur les livres jeunesse. De plus en plus d’éditeurs font appel à leurs conseils en amont de la parution. Ces experts ne manquent pas de rappeler à quel point il est important pour un enfant de mettre un nom sur un sentiment, quel qu’il soit. Sentiments auxquels rendent hommage deux albums, l’un, superbe, chez Gautier-Languereau, Au fil des émotions de Cristina Nuñez Pereira et Rafael Romero Valcárcel, l’autre aux éditions du Ricochet, Les Emotions, ça chahute un peu, beaucoup, énormément… de Rhéa Dufresne et Sébastien Chebret.