Prenez un chiffre, n'importe lequel. Faites-lui dire quelque chose, n'importe quoi. Il deviendra un chiffre éloquent par sa seule force persuasive. La formule qui dit que les chiffres parlent d'eux-mêmes est trompeuse. Les chiffres ne parlent pas, on les fait parler. On leur fait même parfois dire n'importe quoi. On, ce sont les experts, les économistes, les statisticiens, les bidouilleurs de données.
Thierry Maugenest, auteur de romans et d'essais dont une biographie inspirée d'Étienne de Silhouette (La Découverte, 2018) et Antoine Houlou-Garcia, universitaire versé dans les mathématiques, traquent dans ce Théorème d'Hypocrite la face cachée des chiffres, de Pythagore à nos jours, jusqu'à la Covid-19, où l'on a fait dire aux chiffres tout et le contraire pour légitimer des décisions politiques, notamment sur le taux de létalité du virus qui « n'a pas de réelle signification puisqu'il est par définition surestimé ».
Après enquête, les manipulations de données s'avèrent évidentes. « Comment en est-on arrivé là ? Comment de simples chiffres ont-ils pu se transformer en menace pour le peuple ? Comment des nombres, des équations, des théorèmes, ont-ils pu cautionner des régimes politiques, justifier la nécessité d'un impôt injuste, faire passer des individus bien portants pour des malades qui s'ignorent ou, en sollicitant le calcul de probabilité, faire condamner des innocents ? »
Dès l'Antiquité, les chiffres et leurs mystères ont servi à travestir le réel, jusqu'à faire croire chez Pythagore à la magie des nombres. Plus terre à terre, Machiavel a utilisé des probabilités dans un intérêt personnel en transformant, par exemple, la politique de la main tendue en égoïsme parfait. D'autres exemples abondent dans ce livre documenté et malicieux, dont le but n'est pas de minimiser l'importance des mathématiques. Il ne s'agit pas de se méfier de la science, mais de ceux qui l'exploitent à des fins personnelles, dans une stratégie politique ou pour duper. Les auteurs évoquent, par exemple, le flou qui entoure la simple notion de moyenne, qui peut être arithmétique, géométrique ou harmonique avec des résultats et des interprétations dissemblables. La manière dont sont calculés des indices, comme l'empreinte carbone ou le PIB, est également décortiquée par rapport à la réalité qu'ils modélisent. En revanche, pour Thierry Maugenest et Antoine Houlou-Garcia, il n'y a pas de raison d'avoir peur des algorithmes qui ne font que ce qu'on leur demande de faire. C'est plutôt ceux qui codent que l'on devrait craindre car ils obéissent à des clients dont les intérêts ne sont pas toujours ceux de tous.
Les chiffres jouent-ils contre nous ? Disons plutôt que nous jouons mal avec eux. « Suffirait-il donc que les citoyens s'intéressent aux mathématiques pour déjouer les pièges tendus par le pouvoir politique, économique et judiciaire ? Assurément. » En fait, la véritable question de fond qui sous-tend cet ouvrage ludique et informatif est d'ordre philosophique : sommes-nous les paramètres d'une équation qui nous échappe ? La réponse ne se trouve hélas pas dans les chiffres.
Carte du trans
Serge Hefez
« On ne naît pas femme : on le devient. » Pour Simone de Beauvoir, la femme n'a pas été assignée à la place que lui attribue la société largement dominée par la gent mâle. Depuis la parution du Deuxième sexe en 1949, de l'eau a coulé sous les ponts. Le combat féministe continue certes, mais sous les ponts l'eau est trouble, pas sûr que les deux rivières du féminin et du masculin coulent de façon parallèle et si distincte. Parfois les cours se mêlent. C'est la confusion des genres. Dans Transitions, le psychanalyste et thérapeute familial Serge Hefez témoigne de sa rencontre avec des patients en transition et partage les repérages qu'il a faits dans ces nouveaux territoires du genre, du sexe et du désir. Hétérosexualité, homosexualité, bisexualité... Les anciennes cases ne peuvent plus contenir des cas si singuliers. La fluidité se nomme aujourd'hui « polyamour », « queer » ou « sexe neutre ». Ce jeune homme à la barbe rousse et au poitrail musculeux parle de son attirance pour les garçons et de son mal-être dû à « ce corps pour lui imparfait, ce vagin et ce clitoris qui ne lui donnent aucun plaisir mais qu'il se refuse toutefois d'opérer. »« James a été une jolie jeune fille très timide dans sa vie antérieure », note le praticien. De « La planète trans » à l'homonor-mativité. de la révolution #Metoo à la PMA, Serge Hefez dessine une carte du trans avec des lignes de fuite fascinantes- la promesse d'une émancipation hors des sentiers battus d'identités figées.
Transitions : réinventer le genre
CALMAN-LÉvy
Tirage: 0
Prix: 17,90 € ; 260 pages
ISBN: 9782702166468