Le New York Times qui a classé Tous nos noms parmi les dix meilleurs romans de 2014 jugeait "erroné - voire insultant - de décrire Dinaw Mengestu comme un "écrivain de l’immigration"". On ne lui donnera pas tort. Bien sûr, il y a les données biographiques brutes - né en 1978 à Addis-Abeba en Ethiopie, arrivé aux Etats-Unis avec ses parents l’année suivante, ayant grandi dans l’Illinois… - dont on peut imaginer qu’elles éclairent avec pertinence les livres de ce grand trentenaire calme qui a su s’imposer en moins de dix ans et en seulement trois romans, traduits dans une quinzaine de langues, comme l’un des écrivains les plus doués de la jeune génération des lettres nord-américaines. Il y a les thèmes familiers de ses fictions sensibles qui mettent effectivement en scène des exilés, des déracinés, confrontés à l’intégration à l’american dream en même temps qu’à des puissants et muets conflits intérieurs.
Mais tout ça ne saurait rendre compte de la manière infiniment élégante dont Dinaw Mengestu interroge plus largement les questions d’identité (perdue, plurielle, recomposée, métissée), la place à (re)trouver dans le monde quand on a laissé derrière soi famille, amis, terre natale… Le sentiment d’étrangeté qui naît tout autant d’une différence de nationalité, de couleur de peau, de classe sociale que d’une confrontation amoureuse. Surtout, les thèmes explorés ne disent rien de la manière, de l’élégance sobre de la mélancolie, de la puissance de la tristesse rentrée qui imprègnent les récits.
Les belles choses que porte le ciel, le premier roman de Dinaw Mengestu, traduit chez Albin Michel en 2007 dans la collection "Terres d’Amérique", se situait dans un quartier pauvre en pleine gentrification de Washington DC. C’est là que Dinaw Mengestu a fait ses études, à l’université de Georgetown où il est devenu quelques années plus tard professeur d’anglais. Depuis 2014, il est titulaire d’un poste au Brooklyn College à New York où il s’est installé il y a quatre ans avec sa femme française et leurs deux fils après avoir vécu à Paris. Voyageant régulièrement, notamment sur le continent africain, il écrit également des fictions et des articles pour différentes revues (Granta, The New Yorker, Harper’s, Rolling Stone…).
Amour, amitié
Tous nos noms reprend la forme de récits parallèles et décalés dans le temps, expérimentée avec Ce qu’on peut lire dans l’air (2011), pour évoquer deux histoires d’amitié et d’amour dans la première partie des années 1970 en Ouganda, dans une Afrique de l’Est après l’indépendance pleine d’espoirs révolutionnaires qui vont tourner court, et dans une petite ville du Midwest tout juste sortie de la ségrégation. L’un des deux narrateurs du livre, Isaac, un jeune Africain réfugié aux Etats-Unis avec un visa étudiant, a abandonné tous ses noms d’avant, traces de toutes les vies passées. L’écrivain qui sait si bien l’énergie subtile que toute nostalgie contient les lui restitue. Avec sa profonde grâce coutumière.
Véronique Rossignol
Dinaw Mengestu, Tous nos noms, Albin Michel, traduit de l’anglais (états-Unis) par Michèle Albaret-Maatsch, sortie le 20 août, Prix : 21,50 euros, 300 p., ISBN : 978-2-226-31812-1