A l’été 1944, alors que le Reich commence à se fissurer, dans le camp de concentration de Buchenwald, l’une des usines de mort nazies, Carl Vaernet, un médecin danois fanatique et monstrueux, pratique sur cinq homosexuels, puis sur dix autres, une singulière opération. Afin de les "guérir" de leur "maladie", et des mœurs "asociales" qu’elle entraîne, il leur insère dans l’abdomen une capsule de métal, une espèce de glande artificielle de testostérone censée orienter leur libido vers la "normalité", leur faire désirer des femmes. Les malheureux cobayes, porteurs du triangle rose, le pire signe d’infamie aux yeux de leurs bourreaux et même à ceux des autres déportés pour des motifs plus "nobles", en butte à encore plus de souffrances et de persécutions, ont été sélectionnés par le savant fou et ses sbires - mis à son service par Himmler lui-même, qui suivit toute l’affaire de près, jusqu’en 1945 - avec un soin tout scientifique qui fait froid dans le dos. Volontaires en échange d’une promesse de libération (jamais honorée, on s’en doute), âgés de 23 à 45 ans, de toutes origines (un ancien soldat, un moine…), sept d’entre eux sont castrés.
Selon le rapport que Vaernet, enchanté, portera en personne à son maître à Berlin, l’opération, effectuée de ses propres mains, a parfaitement réussi. Hormis deux morts (suite à une infection), tous les autres ont "rajeuni" et se sont dits désormais sexuellement attirés par les femmes. On imagine aisément les raisons de tels aveux.
Vaernet, lui, courageusement retourné dans son pays où il n’a pas été inquiété, a pu s’enfuir vers l’Argentine. Accueilli à bras ouverts par le dictateur Juan Perón, il a fini tranquillement sa vie à Buenos Aires, en 1965.
Cet épisode, authentique mais peu connu des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, était extrêmement délicat à mettre en roman. Olivier Charneux s’en tire avec les honneurs, qui a choisi une certaine froideur. Il retrace la trajectoire de Vaernet, depuis ses premières dérives de fils de paysan voulant "améliorer la race" jusqu’à son engagement dans les rangs des SS, avec le grade de commandant. Et explicite ses convictions, rejoignant celles d’Hitler théorisées par Himmler, que l’homosexualité ne saurait être allemande, qu’elle est une conséquence du mélange des races, notamment avec les Juifs. On connaît les ravages causés par ce concept de "pureté ethnique". Le racisme a tendance à ressurgir, ces temps-ci, ici et là, comme l’homophobie. Face à la bête immonde, le seul remède, c’est la connaissance de l’autre. Lisons Charneux. J.-C. P.