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Dossier Bricolage : Le grand chassé-croisé

OLIVIER DION

Dossier Bricolage : Le grand chassé-croisé

Refroidis par les ventes inégales des livres de bricolage, les éditeurs qui se désengagent de ce petit segment du pratique croisent quelques audacieux, décidés à (ré)investir la thématique avec une offre plus pédagogique.

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Par Véronique Heurtematte
Créé le 27.10.2014 à 15h34 ,
Mis à jour le 31.10.2014 à 11h05

Marché de niche où il est difficile d'innover et où les ventes sont orientées à la baisse, le bricolage déçoit de nombreux éditeurs. Chez Marabout, Mon cours de bricolage, paru en avril 2011 dans la série "Lilibricole", n'a pas obtenu les résultats attendus, tandis que Tout le bricolage, paru en 2007, est passé de 30 000 ventes annuelles à tout juste 7 000 l'an passé. Des raisons suffisantes pour faire renoncer ce spécialiste du livre pratique : "C'est un marché sinistré qui subit la concurrence d'Internet et des fiches de conseil distribuées par les grandes enseignes spécialisées, estime Elisabeth Darets, directrice générale de Marabout. Nous n'y investissons plus car nous n'avons pas trouvé comment renouveler l'offre, que ce soit par des créations ou en achetant des droits sur le marché étranger, où je ne vois rien de très attractif." Larousse n'a rien publié sur le sujet en 2012. Les éditions du Rouergue se sont désengagées. Les éditions Alternatives n'envisagent pas d'étoffer leur collection "Construire de A à Z", qui compte aujourd'hui 8 titres (Les plans d'architecte et d'exécution, Les installations électriques, Les cloisons et les escaliers, Les murs et le plancher, Les charpentes et les couvertures, Les fenêtres et les portes, L'isolation thermique et le chauffage).

"Il existe toujours un public pour le bricolage. Les personnes qui n'ont pas les moyens de déménager ou de faire construire valorisent leur habitat." RONITE TUBIANA, DUNOD- Photo OLIVIER DION

CERTAINS Y CROIENT

Contre-courant de cette logique de repli, quelques maisons choisissent au contraire de prendre pied sur ce segment ou de renforcer leur production. Les éditions de Saxe, spécialistes des loisirs créatifs, ont ainsi décidé de s'intéresser au domaine. "De beaux succès avec un livre sur les meubles en carton et un titre sur la tapisserie nous ont décidés à aller sur ce secteur», justifie Corinne Vignane, directrice-adjointe de la maison. L'éditeur a publié Terrasses en bois et Les dallages en mai dernier, et Petits meubles en bois en septembre. Dunod fait également partie des éditeurs récemment arrivés sur ce segment, en particulier par l'approche écologique. Encouragé par les résultats corrects obtenus par ses premiers titres en 2011 (Réduire les consommations énergétiques de son logement, Ecologique et autonome, Guide de l'éco-habitat, Adopter le solaire thermique et photovoltaïque), l'éditeur renforce cette année sa production avec "La maison du sol au plafond", une collection qui se veut très accessible pour les bricoleurs amateurs avec des séries de pas à pas illustrés par plus de 800 photos. Trois titres ont vu le jour en septembre (L'électricité et l'éclairage, La plomberie et La maçonnerie) et cinq autres sont prévus pour le printemps 2013. "Il existe toujours un public pour le bricolage, estime Ronite Tubiana, éditrice scientifique, technique et habitat chez Dunod. Les personnes qui n'ont pas les moyens de déménager ou de faire construire valorisent leur habitat."

"Ce sont des livres coûteux à produire. Il convient donc d'être raisonnablement prudent dans notre production." GUILLAUME PÔ, FLEURUS PRATIQUE- Photo OLIVIER DION


Autre éditeur à investir sur ce marché, Fleurus développe son offre en s'associant avec le magazine Système D, un titre du même groupe Média-Participations. Après Les bases du bricolage en 2011, l'éditeur a publié en mars dernier L'essentiel du bricolage, un ouvrage de référence de 512 pages tiré à 15 000 exemplaires, où chaque projet est expliqué en détail étape par étape et abondamment illustré. "Ce sont des livres coûteux à produire, notamment en raison des photos, et qui nécessitent une vérification minutieuse des informations. Il convient donc d'être raisonnablement prudent dans notre production", explique Guillaume Pô, directeur éditorial chez Fleurus Pratique. L'éditeur a également programmé pour la fin de l'année Les bons plans du menuisier, avec des plans au format A2 de 30 réalisations courantes (bureau pour enfant, table basse à tiroirs, bibliothèque démontable, etc.). Ils ont été rassemblés dans un coffret, une présentation à laquelle ont largement recours les autres secteurs du pratique, en particulier la cuisine, mais encore inusitée dans le bricolage.

Autre présentation originale, la Brico box de Solar, parue en mars, propose "100 fiches pour bricoler facile" dans toute la maison. Le groupe Marie Claire maintient son volume d'une production concentrée de préférence sur le printemps, saison la plus propice au bricolage, même si l'éditeur reconnaît que le marché est difficile. "Dans ce secteur, la plupart des titres sont des long-sellers, alors que la librairie ne prend plus que les nouveautés", déplore Thierry Lamarre, directeur de la diversification du groupe. Pour Eyrolles, positionné de longue date sur ce segment, la question ne se pose pas, malgré la conjoncture peu favorable : "Le bricolage représente un secteur fondamental chez nous, que nous continuons d'enrichir", souligne Eric Sulpice, directeur éditorial.

BIG IS BEAUTIFUL

Les ressources disponibles sur Internet et les fiches de conseil gratuites distribuées par les grandes enseignes spécialisées constituent une concurrence directe pour les petits livres thématiques. "L'observation du marché montre que ce sont les encyclopédies qui fonctionnent le mieux, confirme Anne Le Meur, responsable de projets chez Hachette Pratique. Les ventes de notre collection à 9,80 euros n'étaient plus à la hauteur de nos attentes." L'éditeur a rassemblé les principaux titres de sa petite collection "100 % durable" dans une grosse somme parue en septembre dernier sous le titre Le grand guide Hachette du bricolage. Les informations, augmentées et actualisées, notamment avec tout ce qui touche aux économies d'énergie et aux nouveaux matériaux, visent le grand public désireux de réaliser de petits travaux.

"Le bricolage représente un secteur fondamental chez nous, que nous continuons d'enrichir." ÉRIC SULPICE, EYROLLES- Photo OLIVIER DION


Chez Massin (groupe Marie Claire), Thierry Lamarre fait le même constat : "Les gens achètent peu, mais préfèrent investir dans des livres de référence." L'éditeur a en conséquence publié cet été Tout réparer, dépanner, installer, conçu comme un guide de survie de la maison permettant d'éviter de faire appel à un professionnel pour des petites réparations. L'éditeur souhaite également répondre aux attentes des personnes, de plus en plus nombreuses en raison du contexte économique difficile, à choisir d'aménager leur lieu d'habitation plutôt que de déménager. La collection "Recettes d'architecte" se consacre ainsi à certaines problématiques particulières, avec des titres tels que Escaliers et mezzanines, Une nouvelle salle de bain ou Studios et petits appartements. L'éditeur a même pensé aux autoentrepreneurs et professionnels free- lance, de plus en plus nombreux à travailler chez eux, avec 101 idées et astuces pour créer un espace à soi.

Chez Eyrolles, dans la collection "Les cahiers du bricolage", ce sont les titres consacrés à des techniques de base comme l'électricité et la plomberie qui se vendent le mieux, tandis que Poser un carrelage mural, sujet sur lequel on trouve sans peine des informations gratuites, a plus de mal à trouver acheteur. L'installation électrique, un grand classique d'Eyrolles, demeure un best-seller malgré ses 35 euros. L'éditeur en publie en novembre une version synthétique et illustrée, destinée à un public plus néophyte : L'installation électrique par soi-même.

Signe de l'affection du public pour le guide complet, Le bricolage pour les nuls, paru chez First en 2002, puis en 2009 dans une nouvelle édition enrichie et toute en couleurs, totalise 63 000 exemplaires vendus et poursuit sa vie en librairie avec des ventes stables et régulières. Et s'ils ne doivent publier qu'un livre de bricolage, les éditeurs s'orientent vers une encyclopédie généraliste. ESI a ainsi publié en septembre Le grand livre du bricolage, un ouvrage de 288 pages qui s'adresse au grand public avec 450 astuces et 48 pas-à-pas sur toutes les techniques : peinture, électricité, plomberie, etc.

La construction écologique pour la maison souffre de la fin des aides attribuées par l'Etat. Chez Eyrolles, les ventes moyennes des titres de la collection "Environnement" sont passées de 8 000 exemplaires par an à 5 000. L'éditeur continue cependant d'enrichir cette collection, dans laquelle quelques thèmes porteurs tels que Les pompes à chaleur, Construire des fours solaires ou Assainissement individuel autonome maintiennent de bonnes ventes. Spécialiste de l'écologie, Terre vivante enrichit ses deux collections avec notamment J'entretiens mes boiseries : volets, parquets, meubles... peintures, vernis, cires... au naturel dans sa collection "Facile & bio", et Les sols en terre : manuel d'autoconstruction, Enduits en terre et La construction en paille : principes fondamentaux dans la collection "Conseils d'expert". Pour les plus motivés, l'éditeur a publié en avril 15 bricolages écologiques et malins pour réaliser soi-même un four solaire, un germoir ou encore un lombricomposteur.

INSPIRATION MAISON

A côté des réparations purement techniques, les lecteurs s'intéressent à tout ce qui touche à l'embellissement de la maison au point que, dans les magasins Leroy Merlin, on déplore le faible nombre de nouveautés sur ce sujet. Les éditeurs se montrent en effet particulièrement prudents sur ce segment, car le succès est très inégal selon les titres. Les éditions Massin ont publié au printemps Maisons de nos régions, Maisons transformées, Maisons de vacances, Couleurs et matières en partenariat avec le magazine Art & décoration. "Nos livres reflètent la tendance actuelle à recycler, relooker, aménager", explique Thierry Lamarre.

"Les gens achètent peu, mais préfèrent investir dans des livres de référence." THIERRY LAMARRE, MASSIN- Photo OLIVIER DION


Le Chêne illustre aussi cette tendance avec Palettes, faites vos meubles, publié en avril, de même qu'Eyrolles avec Déco récup, paru en septembre. En relation avec l'engouement pour la cuisine, les arts de la table font une percée. Eyrolles se déclare satisfait des premiers résultats obtenus par Les sweet tables, paru en juin, et publie en ce mois de novembre Les tables de Steph, qui propose des décorations de table réalisables avec un petit budget. Flammarion a livré début 2012 L'esprit déco, un beau livre d'inspiration de 736 pages qui propose une promenade à travers tous les styles de décoration, du vintage à l'industriel en passant par le contemporain, ainsi que L'esprit d'élégance en octobre, qui fait entrer le lecteur dans les plus beaux appartements d'Europe et des Etats-Unis. Terre vivante propose une approche écologique avec Je crée ma déco saine et naturelle, avec 25 recettes de peintures et enduits, paru en janvier dernier dans la collection "Facile & bio".

En dehors de la maison, une petite production de livres de bricolage se maintient sur des sujets spécifiques, comme l'électronique. Dunod a publié en octobre Arduino : fonctions avancées. Il propose une nouvelle édition de La robotique à la portée de tous : construisez votre premier robot pas à pas, avant la parution début 2013 de Je construis mon véhicule électrique, un sujet dans l'air du temps sur lequel il n'existe encore aucun ouvrage en français.

LES PRINCIPAUX ÉDITEURS

En nombre d'exemplaires vendus entre octobre 2011 et septembre 2012- Photo SOURCE : IPSOS

Eyrolles demeure, loin devant Marabout et Massin, le leader incontesté sur le petit segment du livre de bricolage, où Ipsos n'a enregistré que 169 635 exemplaires vendus en un an, pour un chiffre d'affaires total de 2,96 millions d'euros

Des Français motivés, mais pas toujours expérimentés

 

Une enquête réalisée l'an dernier par l'Ifop pour les magasins Castorama souligne l'intérêt mais aussi les freins des amateurs face aux activités techniques.

 

Une enquête réalisée l'an dernier par l'Ifop pour les magasins Castorama souligne l'intérêt mais aussi les freins des amateurs face aux activités techniques.- Photo OLIVIER DION

Le bricolage plaît aux Français, et cette activité, jusqu'à une époque récente surtout réservée aux hommes et motivée par les économies qu'elle permet, est devenue une activité de loisirs, partagée presque à parts égales entre les hommes et les femmes. 92 % des Français déclarent qu'il est important et agréable de faire quelque chose de ses mains, selon une étude Ifop réalisée en mai 2011 pour les magasins Castorama. 63 % des hommes et des femmes qui bricolent le font par plaisir, et 91 % d'entre eux éprouvent de la fierté à bricoler eux-mêmes, tandis que 80 % des Français pensent que la décoration de leur maison reflète leur personnalité. Réaliser des économies reste cependant la motivation principale des bricoleurs, pour 81 % des personnes interrogées.

Si l'idée de manier le pinceau ou la scie sauteuse enthousiasme une majorité de Français, il y a parfois loin entre l'envie et la mise en oeuvre concrète. Beaucoup hésitent à franchir le pas, faute de confiance en leur savoir-faire : 69 % des sondés se considèrent comme peu ou pas expérimentés, d'où une pratique qui reste très occasionnelle. Sans grande surprise, ce sont les jeunes de moins de 35 ans et les femmes qui sont les plus nombreux à se déclarer peu ou pas bricoleurs. Le bricolage est donc une activité perçue comme complexe et 76 % des sondés déplorent que les pères n'apprennent plus suffisamment le bricolage à leurs enfants.

VITE FAIT, BIEN FAIT

Le manque de maîtrise constitue le frein majeur des Français face au bricolage. 67 % des bricoleurs peu expérimentés déclarent ne pas bricoler plus souvent en raison d'un sentiment d'incompétence ou d'une absence d'apprentissage. 47 % d'entre eux préfèrent faire appel à un tiers et 38 % considèrent qu'ils ne sont pas suffisamment équipés. Les Français plébiscitent donc les aides sous toutes leurs formes : 87 % d'entre eux déclarent vouloir être accompagnés dans leur pratique. Les cours, les formations, les démonstrations permettant d'apprendre les bons gestes et de se lancer seul dans un projet arrivent en tête de leurs demandes. Mais la fourniture de fiches-conseils ou l'accès à des sites Internet dédiés intéressent 60 % des personnes interrogées.

Signe caractéristique de notre mode de vie actuel, le manque de temps est l'autre grande raison pour laquelle les Français ne se livrent pas plus souvent au bricolage. En conséquence, 73 % des Français réclament des produits faciles à utiliser, à transporter et pouvant leur faire gagner du temps.

Au moment de l'enquête, 75 % des personnes interrogées prévoyaient de se lancer dans des travaux dans les mois à venir, notamment refaire les peintures, monter des étagères murales, changer une prise électrique ou un interrupteur, ou encore poser de la tapisserie murale ou bien installer une suspension ou des spots.

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