"On fait le bilan !" Le titre du tube chaloupé des Neg’Marrons qui avait fait danser la France tout un été convient parfaitement à la dizaine de livres qui dressent l’inventaire chahuté des années Hollande, à quelques mois d’un possible changement de président de la République. Comment en est-on arrivé là ? se demande Michèle Cotta (Robert Laffont), journaliste et auteure de multiples essais, plutôt marquée à gauche et qu’on imagine se prenant la tête entre les mains avec Eric Zemmour, chroniqueur et auteur de droite revendiqué publié chez Albin Michel. Avec Un quinquennat pour rien, les ventes de ce dernier devraient encore faire le bonheur de son éditeur. La même maison annonce Conversations privées avec le Président (Karim Rissouli, Antonin André), une analyse nourrie des révélations faites pendant quatre ans d’entretiens avec François Hollande, explique Alexandre Wickham, directeur éditorial chez Albin Michel. Plon publie aussi un essai à partir d’entretiens d’un président décidément très bavard avec Elsa Freyssenet ("Ça n’a aucun sens"), de même que Stock : Gérard Davet et Fabrice Lhomme, les deux journalistes du Monde à l’origine de l’affaire Fillon-Jouyet, rassemblent quatre années de discussions et d’enquête dans "Un président ne devrait pas dire ça" : les secrets d’un quinquennat. Privat ose une des rares analyses favorables (François Hollande : bilan d’un quinquennat) face à une masse de critiques. Outre les deux premières citées, il faut ajouter Le livre des trahisons (collectif, aux Puf) ; Lui, Président : que reste-t-il des promesses de François Hollande ? (Corentin Dautreppe, Clément Parrot, Maxime Vaudano, chez Armand Colin) ; Le premier secrétaire de la République : chronique des années Hollande (Cyril Graziani, Fayard). Renaud Revel s’intéresse au secrétariat général de l’Elysée, dont il fait l’histoire des coups tordus dans Le bureau qui rend fou (First) et Marie Eve Malouines prend du champ avec Seul en son palais (Stock), sur l’isolement que créé la fonction.
A gauche
On peut y ajouter ce qui concerne la gauche en général, et pas le seul ex-premier secrétaire du Parti socialiste. Le ton est tout aussi sévère, à commencer par celui d’une grande voix maintenant posthume : Que reste-t-il du socialisme ? Contre la droitisation du monde et de la France proclame Michel Rocard, dans un livre annoncé chez Flammarion (d’abord prévu en septembre puis reporté sine die). La déception et l’inquiétude s’entendent aussi dans les autres titres : Le jour où la gauche s’est perdue… (Dominique Bertinotti, chez Calmann-Lévy) ; Ils ont tué la gauche : posture(s) et imposteur(s) au sommet de l’Etat (Pierre Jacquemain, Fayard) ; La gauche du XXIe siècle : enquête sur une refondation invisible (Christophe Aguiton, La Découverte) ; Le pouvoir confisqué : pour un nouveau champ des possibles (Pouria Amirshahi, Fayard). Thierry Pfister, ancien journaliste et éditeur chez Albin Michel, reprend du service pour apostropher la gauche : Tu ne crois pas que tu exagères ? Comment ne pas désespérer des socialistes ? (Albin Michel). "Il y a beaucoup de télescopage autour du bilan, mais juste avant l’élection, les gens sont tellement inquiets et angoissés qu’ils achètent des livres pour comprendre", observe Alexandre Wickham. Les éditeurs anticipent aussi une saturation : "On sait que les années d’élection ne sont pas des bonnes années, les temps de lecture sont pour les journaux, et la programmation sera difficile", prévient Dorothée Cunéo, directrice éditoriale chargée des essais et documents chez Robert Laffont. "Les médias seront saturés de politique et les autres thèmes ne seront pas dans le champ d’intérêt des lecteurs", ajoute Sophie Charnavel, directrice éditoriale de Fayard. Il faut donc publier avant cette période critique.
La gauche elle-même n’a pas encore pris la parole, en raison de la question sur l’organisation de primaires. Elle est en partie tranchée, ce qui devrait libérer des plumes, mais les intéressés se dévoileront le plus tard possible et ne figurent pas encore dans les programmes. Jean-Luc Mélenchon, fondateur du Parti de gauche, ne participera pas à ces primaires et mène donc sa barque en solo, comptant bien doubler cette fois le "capitaine de pédalo" ainsi qu’il avait cruellement surnommé François Hollande. Pour l’occasion, il publie deux fois au Seuil dès septembre : Comment faire, son livre-programme à 3 euros, et Résister, un livre d’entretiens où le futur candidat explique son parcours et ses combats. Jean-Pierre Chevènement est annoncé chez Fayard, mais cette nouvelle prise de parole qui se veut au-dessus de la mêlée (La France contre le choc des civilisations) n’annonce pas forcément un retour dans la course présidentielle du vice-président du Sénat, fondateur du MRC. Dans le même registre éloigné des contingences électorales, Dominique de Villepin revient en librairie avec un Petit manuel pour la paix (Grasset). Sans plus d’ambition immédiate, Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, dirige avec l’historien Michel Winock la synthèse d’un vaste rapport sur l’avenir des institutions réalisé par les députés et intitulée Refaire la démocratie : dix-sept propositions, remarquable selon son éditeur, Thierry Marchaisse.
A droite
A droite, dont les élections primaires sont fixées les 20 et 27 novembre, tous les principaux candidats ont déjà publié. Seul reste à paraître le quatrième et dernier titre de la série d’ouvrages programmatiques d’Alain Juppé chez Lattès. Quelques portraits sont quand même en projet : deux pour l’ex-président et futur candidat, toujours vendeur (Tu sais, c’est pas fini : Nicolas Sarkozy, premiers combats, Laura Pouget, La Tengo ; Nicolas Sarkozy : de près, de loin, Eric Roussel, Robert Laffont). Au centre, l’imprévisible Jean Lassalle, député des Pyrénées et candidat déclaré, donnera son programme dans Un berger à l’Elysée (La Différence).
Corinne Lepage se moque de ces ambitions dans Tous président ! (Les Liens qui libèrent), tandis que Michel Leis fustige 2017, programme sans candidat (Editions du Croquant). Eric Revel, Ludovic Fau et Xavier Panon dressent un portrait des treize personnalités qui donneront de la voix dans les prochains mois (Les conquérants : 2017, L’Archipel).
Le politologue Alain Duhamel, qui a commenté d’innombrables campagnes électorales dans presque autant de livres, analyse Les pathologies politiques françaises chez Plon, maison qui publie aussi Quand l’Etat tue la nation, un essai de Robin Rivaton, membre de la Fondation pour l’innovation politique, groupe de réflexion libéral, et du staff de campagne de Bruno Le Maire, candidat à la primaire à droite. Toujours chez Plon, le député européen Henri Weber prononce un Eloge du compromis, auquel fait écho La tolérance expliquée à tous (Roger-Pol Droit, Seuil). Jacques Rancière et Pierre Rosanvallon se demandent Comment revivifier la démocratie ? (L’Aube). Plusieurs textes explorent des alternatives citoyennes, loin des professionnels de la politique (Utopies réelles, Erik Olin Wright, La Découverte ; Le coup d’Etat citoyen : ces initiatives qui réinventent la démocratie, Romain Slitine et Elisa Lewis, La Découverte ; Podemos, la politique en mouvement, Alberto Amo, Alberto Minguez, La Dispute). La boussole républicaine apparaît si déréglée qu’Yves Derai, patron des éditions du Moment et héraut d’une monarchie parlementaire, relance sa question favorite : Louis XX, un roi pour la France ? (Jean-Baptiste Giraud). Mais la division règne aussi dans cette royale famille et L’Archipel défend la branche concurrente (La royauté de l’homme, Henri d’Orléans). Depuis l’Espagne, Manuela Carmena, ancienne juge et nouvelle maire de Madrid, propose une solution toute simple : Gouverner avec affection (Indigène).
La montée de l’extrême droite et sa présence possible au second tour de l’élection présidentielle suscitent près d’une dizaine d’essais, dénonçant vieilles chimères, illusions ou mensonges (Le nouveau FN : les vieux habits de l’extrême droite, Grégoire Kauffmann, Seuil ; Lettre aux Français qui croient que cinq ans d’extrême droite remettraient la France debout, Nicolas Lebourg, Jean-Yves Camus, Les Echappés ; En finir avec les idées fausses propagées par l’extrême droite, Vincent Edin, L’Atelier), expliquant l’expansion du mouvement (Sur la route du Front, Jean-François Pradeau, Manitoba-Belles Lettres ; La fachosphère : comment l’extrême droite a remporté la bataille du Net, Dominique Albertini, David Doucet, Seuil ; Comment devient-on électeur du Front national ?, Antoine Baltier, Le Cherche Midi ; La France d’en haut : quand les élites jouent avec le vote FN, Christophe Guilluy, Flammarion).
Le marasme économique qui nourrit le malaise politique fait aussi l’objet d’essais ou d’enquêtes toujours aussi multiples parmi lesquelles on peut citer Histoire secrète d’un krach qui dure (Marc Roche), Le pacte d’instabilité (François Lenglet), tous deux chez Albin Michel, La fin d’un monde (Marc Touati, éditions du Moment), Sortir du mensonge : après l’illusion financière (Gaël Giraud, L’Atelier), En finir avec les contre-vérités qui paralysent l’économie (Pierre Cahuc et André Zylberberg, Flammarion). La politique du jeune ministre de l’Economie suscite une Introduction inquiète à la Macron-économie (Thomas Porcher, Frédéric Farah, Les Petits Matins). Accusé de tous les mots, l’euro s’attire trois ouvrages à charge au Rocher, au Cerf et aux Liens qui libèrent, dont deux du seul Jacques Sapir. Egalement prolixe, mais dans l’enthousiasme, l’économiste Pierre Larrouturou affirme Sortir de la crise, oui c’est possible ! (Tallandier) et C’est plus grave qu’on le dit, mais on peut s’en sortir ! : 15 solutions contre la crise économique à appliquer d’urgence (L’Atelier). Depuis Genève, le franc suisse et une économie réglée comme un coucou, Jean-Pierre Richardot se demande : Quand est-ce que la France se mettra à l’heure suisse ? (Slatkine).
L’Europe déboussolée
Inquiets quant à leur avenir économique, politiquement déboussolés, les pays européens apparaissent pourtant comme un havre de paix et d’espoir à des millions de migrants démunis de tout mais qui soulèvent pourtant d’autres peurs, que l’édition s’efforce de désamorcer par l’explication : Les peuples d’Europe face aux migrants : une crispation paradoxale (Jérôme Fourquet, L’Aube) ; Comment parler de l’immigration aux enfants (Le Baron perché) ; Les migrations : 50 questions pour vous faire votre opinion (Hélène Thiollet, Armand Colin) ; Atlas des immigrations en France : un pays, un peuple, des origines variées (Pascal Blanchard, Hadrien Dubucs, Yvan Gastaut, Autrement) ; Décamper : de Lampedusa à Calais, un CD & un livre de textes et d’images pour parler d’une terre sans accueil (La Découverte) ; Europe, terre d’asile ? Défis de la protection des réfugiés au sein de l’Union européenne (Sarah Lamort, Puf). L’accueil peut être aussi éprouvant que le voyage, comme en témoigne Victor Eock dans Je rêvais d’Europe : du Cameroun à la France, récit d’un migrant (L’Aube), désillusion dont Guy Sorman se fait aussi l’écho dans J’aurais voulu être français (Grasset). Depuis l’extrémité ouest de la France, Jean-Michel Le Boulanger donne en exemple une société plurielle et ouverte : De Bretagne et du monde : manifeste pour une France de la diversité (Dialogues).
Si le temps long de l’édition met parfois certains documents en décalage avec des événements qui ont saturé l’espace médiatique mais sont oubliés quelques mois plus tard, la presque trentaine de livres traitant du terrorisme ne s’expose malheureusement pas à ce risque. D’autres titres encore sont annoncés pour début novembre, au-delà du périmètre de ce dossier mais juste avant la commémoration des attentats commis à Paris l’an dernier. L’Etat islamique est évidemment au cœur de plusieurs enquêtes, dont celle de Nastasie Costel et Patrick Desbois, le prêtre qui s’était fait connaître par son travail historique sur la Shoah en Ukraine et en Biélorussie. Il a cette fois recueilli les témoignages de Yézidis survivants des massacres de 2014 (La fabrique des terroristes : dans les secrets de Daesh, Fayard). La résistance des Kurdes et leur organisation radicalement révolutionnaire sont exposées dans deux études (La révolution kurde, Olivier Grosjean, La Découverte ; Serhildan, le soulèvement au Kurdistan : paroles de celles et ceux qui luttent pour l’autonomie, Niet ! éditions). Tout à l’opposé, les motivations troubles de l’ultraconservatisme saoudien sont également décortiquées (La diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite, Pierre Conesa, Robert Laffont), de même que les fragilités d’un autre richissime Etat de la péninsule arabique (Qatar : chronique d’une chute annoncée, Emmanuel Razavi, éditions du Moment).
Plusieurs titres décryptent les ressorts de l’embrigadement (L’emprise : comment Daech séduit les jeunes, Achraf Ben Brahim, Lemieux ; Le piège de l’aventure, Mourad Benchellali, Robert Laffont), en l’élargissant à une radicalisation plus générale, dont l’islamisme n’est qu’un des véhicules (Djihad ou FN, radicalisation de la jeunesse française : la montée des extrêmes, Michel Fize, Eyrolles ; Les nouveaux enfants du siècle : djihad, Front national, communautés confessionnelles, identitaires, enquête au cœur des nouveaux engagements radicaux de la jeunesse, Alexandre Devecchio, Cerf). Une thèse défendue par Olivier Roy dans une tribune du Monde, et qu’il développe dans Le djihad et la mort, au Seuil. Dans une enquête approfondie qui croise en partie le chemin de cette radicalisation, mais révèle aussi un problème de société profond et inquiétant, le sociologue Farhad Khosrokhavar signe Prisons de France : violence, radicalisation, déshumanisation… quand surveillants et détenus parlent (Robert Laffont).
Sous une autre forme, l’absurdité peut venir aussi des Etats-Unis, dont les électeurs décideront encore du sort du monde en novembre prochain, lors du scrutin présidentiel. L’inquiétant candidat républicain Donald Trump exerce une répulsive fascination que révèle le nombre de portraits qui lui sont consacrés : six, contre un seul pour Hillary Clinton, candidate démocrate. Christine Ockrent croise leurs destins dans Clinton/Trump : l’Amérique en colère (Robert Laffont).
Retour à l’école
A côté de ces enjeux, la rentrée ramène les esprits vers un autre sujet fondamental : l’éducation. Dans un bref essai (80 pages), Jack Lang, qui fut aussi ministre de l’Education nationale après avoir marqué son territoire à la culture, se prononce Pour une révolution scolaire (Kero). Alors que la grande réforme voulue par François Hollande s’achève avec la mise en œuvre simultanée des nouveaux programmes au primaire et au collège, la production accorde une large place aux dénonciations virulentes (Nos enfants méritent mieux : collèges et lycées, pour en finir avec l’illusion d’apprendre, Christian Doyhenart, Atlande ; Education nationale : et si on tuait le mammouth ?, Bernard Toulemonde, Soazig Le Neve, éditions du Moment ; Le roi est nu : lettre ouverte au ministre de l’Education nationale, Charlotte Magri, Stock ; L’école fantôme, Robert Redecker, Desclée de Brouwer, etc.), complétées de témoignages (Confidences : un enseignant face aux parents d’élèves, Pascal Trepey, Favre ; Le principal : une année dans un collège aujourd’hui, Arnaud Guigue, Lattès). L’enseignement de l’histoire soulève les plus vives polémiques (trois livres chez La Martinière, Lattès et au Rocher), de même que les choix résolus en faveur du numérique (Le désastre de l’école numérique : plaidoyer pour une école sans écrans, Philippe Bihouix, Karine Mauvilly, Seuil). Céline Alvarez expose une expérimentation pédagogique originale à Gennevilliers (Les lois naturelles de l’enfant) que son éditeur Les Arènes espère transformer en événement, tandis que Frédéric Jésu s’attache aux vertus de la concertation (Agir pour la réussite de tous les enfants, L’Atelier). Enfin, avec un titre à contre-pied, Bénédicte Shawky-Milcent plaide une cause qui lui vaudra la reconnaissance de tous les éditeurs : La lecture, ça ne sert à rien ! Usages de la littérature au lycée et partout ailleurs… (Puf).