Présentée à la mi-novembre aux éditeurs et clients de Jouve lors d’une journée d’inauguration, la presse numérique Hewlett Packard T240 assemblée cet été dispose déjà d’assez de commandes pour occuper certains jours trois équipes en continu, se félicite Benoît Drigny, directeur de l’activité services éditoriaux du groupe, dont le pôle fabrication de livres est implanté à Mayenne. D’une laize de 56 cm, cette rotative jet d’encre "est dimensionnée pour des tirages de 300 à 2 500-3 000 exemplaires, dans de bonnes conditions de délais et de prix", explique Guénolé Guibert, responsable du pôle technique. La fourchette peut varier en fonction du format, du type de livre (noir ou couleur), de la densité de l’encrage, mais cette offre répond à une demande grandissante dans l’impression de livres, et s’insère dans une suite de paliers de capacités. Installées dans d’autres parties de l’atelier de Jouve, les presses offset (Timson ZMR, et KBA 8 couleurs) prennent le relais au-dessus de 2 000 exemplaires, et la presse numérique laser mise en service en 2006 reste compétitive en dessous de quelques centaines d’unités.
Couteau suisse de l’impression
En mai, Maqprint à Limoges inaugurait exactement le même matériel dans une configuration identique, avec une chaîne de finition en ligne permettant de fabriquer un livre sans rupture de charge, et un traitement permettant d’utiliser du papier courant, couché ou non couché, pour éviter le surcoût des bobines spécifiques. Dans quelques semaines, Dupli Print, fournisseur d’Hachette Livre, ajoutera dans son atelier de Domont (Val-d’Oise) une presse numérique entièrement automatisée, qui entrera en service début 2018, annonce son P-DG, Frédéric Fabi. Elle viendra en renfort d’une presse HP T350 (laize de 70 cm) qui fonctionne chez l’imprimeur depuis 2012 et permettra notamment de produire en continu des volumes de différents formats, en noir ou en quadrichromie.
L’an prochain, Laballery (Clamecy, Nièvre) complétera aussi son équipement offset (presses feuilles KBA) et numérique (rotative Kodak Prosper 1 000 monochrome) d’une presse HP en quadrichromie de grande capacité et entièrement automatisée. "C’est un investissement de 5 millions d’euros, dans une extension de 2 000 m2. Nous l’inaugurerons en octobre 2018, pour les 25 ans de Laballery", prévoit Hubert Pédurand, directeur général de cette imprimerie organisée en Scop. En 2016, elle avait repris Floch (Mayenne), spécialiste du livre monochrome, en difficulté. Dans ce flux continu d’investissements, l’initiative majeure est venue de la société américaine EPAC qui a construit une unité de fabrication numérique d’une capacité de 10 millions d’exemplaires chez le distributeur Interforum (groupe Editis) à Malesherbes.
Devenue une sorte de couteau suisse de l’impression du livre, la technologie jet d’encre répond à la demande des éditeurs autant qu’elle la suscite. "Le marché progresse de 15 à 20 % chaque année", affirme Frédéric Fabi. "Nous aidons les éditeurs à transformer leurs stocks en flux", résume Hubert Pédurand. La vitesse de rotation a presque triplé par rapport aux débuts, à près de 160 m/minute aujourd’hui, et les différences de qualité d’impression avec l’offset sont considérées comme négligeables, la moindre densité de l’encre étant imperceptible pour les non-spécialistes. "Dans le noir, l’équivalence de qualité est une évidence absolue aujourd’hui", assure Guillaume de Courcy, directeur de Soregraph Livres. Récemment reprise par Présence graphique pour 546 000 euros, cette unité de fabrication appartenait auparavant au groupe Fideva. Le principal actif est une presse numérique rotative Kodak Prosper 1 000 monochrome, la toute première installée en France en 2010, maintenant déménagée de Nanterre à Monts (Indre-et-Loire). Identique à celle de Laballery, elle reste l’une des plus rapides (200 m/minute, laize de 64,5 cm) en numérique. En décembre dernier, La Source d’or à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) a aussi acquis un modèle de cette marque. CPI, premier groupe d’imprimerie français et européen, spécialisé dans le livre monochrome, avait initié ce mouvement en 2010 avec une presse rotative HP mise en service chez sa filiale Firmin Didot (Mesnil-sur-l’Estrée, Eure). Il en a installé trois autres depuis, dont une pour la couleur.
Urgence permanente
Après une bonne dizaine d’années d’explications à l’occasion de forums, salons et foires professionnels, le message des fabricants de presse numérique est maintenant bien assimilé : en économisant la gâche de papier, les frais de calage et de plaque offset, l’impression numérique n’a pas de coûts fixes à amortir sur un nombre minimal d’exemplaires et est donc bien adaptée à de très courts tirages, voire à l’unité. Très limitée au début, la gamme de papiers utilisables devient identique à celle de l’offset y compris pour du poche, ce qui permet d’utiliser l’une ou l’autre des technologies en fonction du volume. Au-delà de 3 000 exemplaires, l’offset redevient compétitif en raison de sa vitesse et du coût bien moindre de son encre, de "quelques euros le kilo, contre plusieurs dizaines d’euros au litre pour l’encre numérique", indique Guénolé Guibert. Comme pour les imprimantes individuelles, les fabricants de machines se rémunèrent aussi sur les consommables. Par contrat, ils interdisent strictement aux imprimeurs professionnels d’utiliser des encres génériques, comme le font les particuliers.
Confrontés à une érosion des mises en vente, les éditeurs ont donc appris à réduire les tirages, quitte à multiplier les réimpressions en cas de succès. "Environ 70 % de nos tirages et 50 % de nos volumes passent maintenant en numérique, concurrentiel avec l’offset jusqu’à 2 500 exemplaires, et le rendu en jet d’encre est tout à fait acceptable", estime Christophe Camacho, responsable de fabrication chez Odile Jacob. "Pour contrôler les stocks au plus juste, nous pouvons passer trois tirages à 1 000 exemplaires ; c’est un peu plus cher qu’un seul à 3 000 exemplaires, et il faut bien surveiller les ventes et l’actualité médiatique pour lancer les réimpressions, mais nous sommes gagnants en frais de fabrication", ajoute-t-il. Et globalement, la maison a réduit ses tirages, tout en maintenant ses ventes.
C’est une tendance générale dans l’édition, qui maintient les imprimeurs sous une tension permanente. "En 2013 aux Puf, nous avons fait imprimer 1,09 million de volumes en 760 tirages. En 2016, nous étions à 940 000 exemplaires en 814 tirages. Si on exclut l’impact hors norme du prix Nobel Jean Tirole (80 000 exemplaires pour Economie du bien commun), le nombre d’exemplaires baisse de 21 %, alors que celui des tirages progresse de 7 %. Le tirage moyen a donc baissé de 26 %, ceci pour un nombre d’exemplaires vendus sensiblement identique (environ 770 000), hors le livre de Jean Tirole", détaille Frédéric Mériot, directeur général adjoint de Humensis, qui rassemble Belin, les éditions de l’Observatoire et les Puf. "C’était une grande fierté d’annoncer un fort tirage pour un éditeur, mais ce n’est plus une référence, ce qui compte, c’est le nombre d’exemplaires vendus", constate Guillaume de Courcy.
Ces tirages n’étaient pas forcément le signe d’une vanité éditoriale, mais correspondaient à une logique de mise en place et d’exposition du livre : "un livre isolé se vend en général moins bien qu’un livre en pile, qui représente une sorte de PLV", rappelle Jean-Marc Lebreton, expert et formateur de la filière éditoriale. Cette logique n’est pas fondamentalement remise en cause, mais affinée grâce à la fabrication en flux tendus qui s’est généralisée avec l’automatisation et la robotisation qui caractérisent les nouvelles installations. "Notre nouvelle presse nous permettra de livrer des commandes de 3 000 à 7 000 exemplaires selon les paginations, d’ouvrages en noir ou couleur, cousus, collés ou piqués, dans le work flow de Laballery Express", s’engage Hubert Pédurand. Cette urgence permanente s’impose aussi aux imprimeurs traditionnels en offset. Spécialiste de la quadrichromie, Pollina, basé à Luçon (Vendée), garantit une livraison en cinq jours avec son service Fastline. La rapidité est aussi l’objectif de l’investissement de PPO Graphic, qui a ajouté cet été à son équipement une presse offset 8 couleurs Heidelberg XL106. "C’est une machine qui se met en repérage toute seule, le conducteur n’intervenant qu’en cas de problème", explique Robert Ganem, P-DG de cette entreprise qui réalise les deux tiers de son activité dans la BD. Pour compléter son service aux éditeurs, et reprendre un peu d’espace dans ses ateliers, PPO construit une extension dédiée au stockage. "Ensuite, nous n’aurons plus de place", regrette le dirigeant, confronté aux contraintes foncières d’une situation privilégiée, à proximité des entrepôts de Média-Participations, son principal client, et à quelques kilomètres des centres de distributions de tous les grands groupes d’édition.
Course à la productivité
Les spécialistes de la quadrichromie ne se montrent pas convaincus par le numérique : "Pour le moment, l’offre en machines quadri ne répond pas à nos attentes de qualité et de prix", juge Stéphane Pollina, directeur général de l’imprimerie familiale, qui emploie 230 personnes et fabrique environ 60 millions de volumes par an. "Les éditeurs de BD s’intéressent aussi au numérique, pour des tirages de 300 à 800 exemplaires, mais ils n’y trouvent pas encore leur compte en qualité", abonde Robert Ganem. "Les presses offset permettent maintenant des calages très rapides, pour enchaîner les tirages de quelques centaines d’exemplaires", ajoute Hervé Buissonnier, directeur de l’imprimerie Clerc à Saint-Amand Montront (Cher), équipée en machines feuilles, et spécialiste de la jeunesse. Imprimeur généraliste, faisant aussi du noir et de la bichromie, Corlet avait testé une presse rotative numérique couleur Agfa dès 2008, expérience restée longtemps isolée. Mais toutes les machines installées cette année sont équipées pour la quadrichromie, afin d’accroître leur potentiel. Elles peuvent convenir pour du manuel scolaire ou de l’édition parascolaire, des guides, du pratique ou encore des albums jeunesse, pour des tirages à quelques centaines d’exemplaires.
Les investissements permettant aux éditeurs de contrôler et réduire leurs flux d’impression tout en augmentant leur production de nouveautés prennent ainsi le relais des équipements de production de masse, caractéristique des presses offset, dont la modernisation a toutefois aussi permis d’abaisser les seuils de tirage. "Les courts tirages nous permettent de résister à la concurrence de l’Europe de l’Est, car le prix du transport est proportionnellement plus important sur un nombre d’exemplaires réduit", souligne Benoît Drigny, en insistant sur le profil de Jouve : spécialiste des courtes et moyennes séries pour l’édition et l’industrie (notices techniques), le groupe réalise environ 30 millions d’euros de chiffre d’affaires dans l’imprimerie, devenue minoritaire dans son activité (170 millions d’euros de CA total dans le monde).
Les prix unitaires se dégradent moins que dans les gros tirages, mais les volumes se réduisent : dans cette course permanente à la productivité ou à l’efficacité, l’imprimerie est un secteur collectivement perdant face à l’édition, même si individuellement des imprimeurs parviennent à s’en sortir. "Nos prix baissent, donc nous investissons dans la productivité pour rester la tête hors de l’eau", résume Robert Ganem. "Le livre reste ce que nous aimons faire, mais les volumes se sont réduits, notamment dans le monochrome. Il est donc essentiel de s’adapter en permanence", ajoute Jean-Luc Corlet. L’entreprise a acquis une presse rotative Canon en 2014, mais s’est aussi diversifiée vers d’autres marchés, qui représentent maintenant la moitié de ses 50 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Pression générale
"Le numérique, c’est de la bricolette", peste Jean-Paul Maury, P-DG du groupe du même nom. "Ce qui compte, c’est le volume pour remplir les plannings et assurer l’équilibre. Nos prix baissent en permanence depuis 1992, on ne peut s’en sortir que par la quantité", constate-t-il. Normandie Roto, la branche livre située à Lonrai, dans l’agglomération d’Alançon (Orne) fabrique 60 millions de volumes en poche, 25 millions en grand format, et un million en numérique, le tout représentant 20 % du chiffre d’affaires du groupe. A l’échelle de l’ensemble du marché, le numérique représente maintenant 7 à 8 % des quantités imprimées, selon Gilles Biscos, président d’Interquest, société d’étude et de marketing représentant les fabricants de matériel : même nombreux, ces courts tirages restent loin du volume assuré par l’offset, mais contribuent néanmoins à la pression générale.
"Les tarifs dans le monochrome sont dramatiquement bas", s’insurge Hubert Pédurand, qui a pourtant rendu Floch bénéficiaire après la reprise par Laballery. Mais la situation reste à consolider : ce spécialiste du livre de littérature générale a vu son chiffre d’affaires réduit de moitié, à 6,5 millions d’euros, par rapport à ses meilleures années, alors que sa capacité de production reste intacte. Il s’est ainsi vu confier la réimpression à 100 000 exempplaires du Goncourt des lycéens. CPI, leader dans ce secteur, ne tire pas profit de sa situation : ses quatre filiales françaises sont déficitaires, et la holding qui les coiffe a été recapitalisée par la maison mère du groupe à hauteur de 26 millions d’euros. "Une opération purement technique et comptable", insiste le P-DG, Pierre-François Catté, qui souligne que le redressement se poursuit et que le groupe est équilibré à l’échelle européenne, avec ses filiales espagnole, anglaises et surtout allemandes, où les relations avec les éditeurs sont plus stables.
Bien que ces trois imprimeurs contrôlent l’essentiel des capacités de grand tirage en France, ils n’ont jamais réussi à s’imposer dans le rapport de force avec les grands groupes d’édition, qui ont joué habilement de leurs rivalités, des surcapacités chroniques d’une activité très saisonnière et de la concurrence européenne. "La quasi-totalité des gains de productivité massifs des imprimeurs a été récupérée par leurs clients, tout particulièrement en France", note Frédéric Mériot. Les raisons en restent incertaines : faiblesse structurelle de la fabrication, dureté particulière des relations avec les grands donneurs d’ordre, absence de patriotisme économique en France alors qu’il est très fort en Allemagne et en Grande-Bretagne ? En tout cas, fait valoir Pascal Lenoir, directeur de fabrication de Gallimard, "ces baisses de coûts de fabrication ont permis de maintenir une grande diversité éditoriale, et des prix bas pour les consommateurs".
Les éditeurs réduisent leurs stocks
En 2016, les éditeurs ont fait imprimer 553 millions de livres, contre 627,8 millions en 2006 : les imprimeurs, français ou étrangers, ont perdu un marché de 75 millions de livres, soit une baisse de 11,9 %. Sur la même période, les éditeurs ont vendu 35 millions de livres en moins, soit une baisse de 7,5 %, à 434,5 millions d’unités, selon les statistiques du Syndicat national de l’édition (SNE). Ils ont mieux ajusté leurs tirages aux ventes : en 2006, la fabrication dépassait les ventes de 158 millions d’exemplaires, mais cet écart s’est réduit à 119 millions en 2016. Il s’était même réduit à 100 millions en 2014, avant de remonter notamment l’an dernier, avec une forte hausse de la fabrication des manuels scolaires, pour lesquels les éditeurs semblent avoir constitué des stocks (23,8 millions d’exemplaires fabriqués, pour 16,6 millions de vendus), en prévision d’achats ultérieurs.
L’écart entre fabrication et vente n’est en effet pas voué au pilon, mais donne une estimation de l’évolution des stocks, que les éditeurs s’efforcent de réduire : il représentait 21,4 % des livres imprimés en 2016, contre 25,2 % en 2006. Il était même descendu à 19 % en 2014. Parallèlement, le nombre de tirages (47 197 en 2016) et de réimpressions (56 337 en 2016) a beaucoup augmenté : de 34 % pour les premiers, et de 61 % pour les secondes. Les réimpressions ont dépassé les tirages initiaux en 2013. La moyenne des exemplaires réalisés par ordre de fabrication a logiquement baissé : de - 24,8 % pour le tirage des nouveautés (à 7 263 exemplaires) et de - 40 % pour les réimpressions (à 3 741 exemplaires) : l’effet des solutions techniques que les imprimeurs proposent en réponse à la demande des éditeurs est clair.
Moins d’impressions en Asie, plus en Europe de l’Est
Les importations constituent l’autre variable expliquant la situation de l’imprimerie en France. Les statistiques douanières mélangent livres commandés par des éditeurs français à des imprimeurs étrangers, et livres d’éditeurs étrangers diffusés dans les librairies françaises, brouillant le tableau. Certains flux, en fonction de leur origine (Asie, Pologne, Slovaquie, Roumanie) ou de leur volume (Italie, Espagne), relèvent à l’évidence de la première catégorie et donc du marché de la fabrication de livres. La concurrence des imprimeurs de ces pays reste globalement forte, mais connaît des redistributions : la pression de l’Asie, et notamment de la Chine, a baissé d’environ 20 % depuis le début des années 2010, de même que celle de l’Italie. Très bien placés en quadrichromie, les imprimeurs italiens semblent avoir toutefois bien profité du marché scolaire (+ 12 % d’importations de livres en 2016, après quatre années de baisse). Les imprimeurs espagnols ont pris régulièrement des parts de marché (+ 30 % depuis 2010), mais plus encore ceux des pays de l’Est de l’Union européenne : l’an dernier, le total des importations en provenance de Pologne, Roumanie, Slovaquie, Slovénie et Bulgarie a atteint 56,5 millions d’euros, soit dix fois plus que dix ans auparavant. Les imprimeurs polonais ont multiplié par 35 leur volume de production à destination de la France, à 25,8 millions d’euros. Au cours du premier semestre, le tonnage de livres en provenance de la Pologne a même bondi de 351 % selon l’Idep. Mais le plus gros tirage de l’année a été européen : les 2 millions d’exemplaires d’Astérix et la Transitalique ont été répartis entre l’Italie (Rotolito), la Roumanie (Canile) et la France (Pollina).
(1) Institut de développement et d’expertise du plurimédia.
Copernics : 1 à 2 millions d’exemplaires en 2018
L’imprimerie ouverte en juin chez le distributeur Interforum monte progressivement en charge.
Nous terminerons l’année à 700 000 exemplaires imprimés, avec une forte montée en puissance au second semestre, pendant lequel nous aurons réalisé environ 600 000 exemplaires. Nous atteindrons 1 à 2 millions d’exemplaires l’an prochain, avec les trois presses installées pour le moment", explique Nicolas Gonçalves. Le directeur supply chain et fabrication d’Interforum prévoit un développement progressif de Copernics, l’unité d’impression de la société américaine EPAC, inaugurée en juin à Malesherbes, au milieu du centre de distribution d’Editis (1). "Nous maîtrisons bien maintenant l’impression monochrome ; début 2018, nous démarrerons la quadrichromie pour les livres qui le permettent (scolaire et parascolaire, guide de voyage, jeunesse). Les enjeux sont importants, c’est un segment où les prévisions de vente sont plus difficiles, Copernics nous permettra donc d’ajuster les tirages au mieux", ajoute-t-il. C’est précisément l’objet de ce projet, d’une ampleur sans précédent : le bâtiment est dimensionné pour six presses numériques, et une capacité de fabrication de 10 millions de livres, de l’exemplaire unique à 3 000 volumes. Ce qui représenterait moins de 5 % des livres produits en France hors importation, mais en revanche près d’un quart de l’impression numérique. L’impact ira au-delà, en raison de ce qu’il ne sera plus nécessaire de produire pour avoir un stock de précaution, ce programme devant permettre de répondre en temps réel à une demande soudaine en évitant les ruptures d’approvisionnement.
"Le geste qu’a posé Interforum transforme cette entreprise, mais aussi toute la chaîne de distribution en France. Personne ne peut rester sans réagir, et tous ont des projets, pas forcément aussi spectaculaires que celui-ci. Les imprimeurs vont devoir aussi se positionner, soit avec une réponse alternative, soit en collaboration avec des distributeurs", analyse Frédéric Mériot, directeur général adjoint d’Humensis, mais auparavant conseiller du groupe Editis dans la réorganisation de sa chaîne d’approvisionnement. La distribution de Madrigall s’est organisée pour intégrer de très courts tirages, afin de réduire ses stocks (programme Themis). Lightning Source France, installée à Maurepas dans le centre de distribution d’Hachette Livre, étudie un possible équipement complémentaire dans le cadre d’un vaste renouvellement de matériel entrepris par le co-actionnaire américain, qui passe de Canon chez HP. Le groupe français évoque un projet à grande échelle sans vouloir en dire plus.
Couvrir l’éventail des réalisations
"C’est une courbe d’apprentissage longue mais passionnante, qui nous tire vers le haut et change notre façon de travailler, avec les éditeurs, les fabricants, les commerciaux. Il faut intégrer une nouvelle logique de limite des risques qu’il n’est maintenant plus nécessaire de prendre avec le premier tirage, et d’apprentissage de nouveaux outils de prévision des ventes", s’enthousiasme Nicolas Gonçalves. Côté éditeur, il a fallu apprendre à maîtriser les nouvelles interfaces de référencement des titres, très détaillées en raison de l’automatisation de la chaîne de production. Sur le plan fabrication, la gamme des papiers testés (couché, bouffant bois et sans bois, poche) s’est élargie et couvre "maintenant 80 % de la littérature générale". Le pelliculage et le verni sélectif pour les couvertures fonctionnent : il s’agit de couvrir aussi largement que possible l’éventail des réalisations, pour passer indifféremment d’une impression par Copernics au retour chez un imprimeur traditionnel, sans que ce soit discernable.
Après les éditeurs filiales d’Editis, l’intégration d’éditeurs en diffusion-distribution a commencé, d’abord pour du livre monochrome, et avec ceux qui ont aussi confié leur fabrication au groupe. Les éditions de l’Opportun ont ainsi bénéficié de la réactivité du système : "Les ventes d’Agir et penser comme un chat se sont emballées et la réimpression de 10 000 exemplaires allait arriver trop tard pour éviter la rupture. Nous avons lancé une réimpression de 1 000 exemplaires, pour faire la jonction", explique Nicolas Gonçalves. Une fois ce programme bien rodé, Interforum en fera un argument de conquête d’éditeurs tiers. "Mais ils deviendront encore plus dépendants du groupe", s’inquiète un imprimeur, à la recherche d’arguments pour contenir la déperdition de ses clients.
(1) Voir LH 1136 du 30/06/17, p. 26