Le jeu en vaut-il la chandelle ? Face à un marché du livre de nature et de jardinage en baisse depuis trois ans, et qui décroche de près de 6 points en 2014 selon GFK, certains éditeurs se posent sérieusement la question. Cette année, Hachette Pratique ne publiera qu’un herbier en collaboration avec le Muséum d’histoire naturelle en fin d’année. Et, après Solar et La Plage en 2014, Marabout a décidé d’opérer sur ce secteur "un repli stratégique en 2015, annonce Elisabeth Darets, directrice de la maison. Les petits sujets ne fonctionnent plus, les entrées de gamme non plus ; les hypermarchés ont lâché l’affaire et les opérations ne sont pas reconduites. Conséquence : faute d’exposition, les ventes ne sont plus au rendez-vous", justifie l’éditrice.

Cet éclaircissement du paysage éditorial, amorcé l’an dernier, profite finalement aux petits éditeurs spécialisés. Ulmer et Terre vivante du côté jardin, Delachaux et Niestlé et Plume de carotte du côté nature sont ainsi parvenus à maintenir une certaine stabilité de leurs ventes en 2014. Une performance qui tient, selon Philippe J. Dubois, directeur de Delachaux et Niestlé, à leur positionnement spécifique. "C’est bien parce que nous sommes spécialisés et que nous creusons ce sillon que nous sortons la tête de l’eau." En revanche, chez Rustica, qui tire également son épingle du jeu, "la progression ne vient pas du jardin mais de la diversification entreprise dès 2013 vers la maison et ses habitants, la cuisine, la nature et l’environnement", indique Elisabeth Pegeon, directrice éditoriale pour le secteur jardin.

Jardiner utile

Paradoxalement, les éditeurs observent toujours un goût du public pour la nature et le jardin, chargés de valeurs humanistes de partage, de convivialité et de détente. "Les livres de coloriages portant sur cette thématique se maintiennent dans les meilleures ventes, souligne Anne Le Meur, responsable du pôle références chez Hachette Pratique. Le besoin de nature est donc toujours là. Reste à imaginer le bon angle pour redynamiser les ventes de livres en nature et en jardinage." En attendant de trouver la bonne équation, les éditeurs opèrent avec une prudence extrême, contractant leur production et remisant l’innovation pour des temps meilleurs. Ainsi, seules deux collections verront le jour au jardin en 2015 (voir encadré p. 55). Echaudés par les tentatives infructueuses menées en 2014 pour renouveler les approches, notamment du côté du bien-être et de la décoration, ils préfèrent également exploiter les formes traditionnelles telles les bibles ou les ouvrages de référence et les valeurs sûres du marché. En 2015, la nature se lit donc dans les guides d’identification et dans les ouvrages de référence, et le jardin potager, utile et nourricier, l’emporte sur le jardin d’agrément. Il est aussi petit et urbain. Les plantes médicinales, liées au bien-être, ont également le vent en poupe.

Mais la tendance championne reste la préoccupation environnementale, qui, sous toutes ses formes, irrigue l’ensemble de la production, des méthodes naturelles, douces et alternatives à l’autonomie en passant par la préservation de la biodiversité. "Tout ce qui touche à la terre, au respect de l’environnement fonctionne", confirme Françoise Simon, de la librairie du jardin des Tuileries, à Paris, qui pointe notamment l’explosion en 2014 de la permaculture. Philosophie holistique d’aménagement des cultures et des lieux de vie, le sujet sera toujours présent en 2015. Après un ouvrage très pratique l’année dernière, Ulmer commercialise le 23 mars Permaculture, un guide complet et très technique. Larousse fait entrer le 3 mars, dans sa collection humoristique "Larousse attitude", Le petit livre du paillage et de la permaculture de Catherine Delvaux. Le sujet sera aussi une des composantes des Nouveaux potagers, qui paraît ce 20 février chez Rustica, explorant les nouvelles pratiques au jardin.

Pour structurer son programme éditorial de 2015, Terre vivante a choisi l’axe de l’autonomie et de la préservation de la biodiversité, mariant guide de référence (L’autonomie du jardin en février) et ouvrages plus accessibles de la collection "Facile & bio" dont Des auxiliaires dans mon jardin en février et Je désherbe sans produits chimiques en mars. La biodiversité sera également au menu des éditions du Terran avec Les ruches de biodiversité, tout comme chez Delachaux et Niestlé qui publie début mars Le jardin spontané. L’ouvrage propose "une démarche soucieuse de biodiversité en permettant de vivre harmonieusement avec les plantes sauvages", précise Philippe J. Dubois.

Affûté, Antoine Isambert, directeur d’Ulmer, combine dans Laissez faire ! la piste écologique avec une autre tendance en vogue, le manque de temps. Sur les rayonnages depuis le 3 février, l’ouvrage propose une sélection de plantes qui se ressèment toutes seules. "C’est ludique, simple et on obtient des jardins évolutifs très fleuris, inattendus et naturels", note l’éditeur, qui mise également sur des thématiques bio comme le compost ou le purin d’orties pour alimenter sa collection très grand public "Mini maxi", agrémentée de QR codes. Parallèlement, il revisite la niche des petits jardins urbains avec en avril Des récoltes abondantes dans un petit jardin, un pas-à-pas pédagogique qui répond aux contraintes des jardins en ville. Dans la même veine, Larousse tente l’innovation. En mars, la filiale d’Hachette propose Des jardins dans des caisses à vin, une nouvelle approche du jardin miniature teintée de décoration. La tendance, que Catherine Delprat, directrice éditoriale chez Larousse, espère durable, sera déclinée dès le mois d’avril avec Un mini jardin dans un aquarium, qui reprend une pratique courante au Japon.

Retour des essais

Dans le domaine de la nature, si les guides d’identification ont toujours la cote, ils intègrent désormais une dimension écologique. Chez Belin, à côté de la collection classique "Fous de nature !", alimentée de quatre titres, le Guide des fleurs du jardin (mars) met en avant leur rôle dans la préservation de la biodiversité et apporte une dimension culturelle en les replaçant dans leur contexte historique. Mariant connaissance de la faune et de la flore et préoccupation environnementale, Glénat prépare un ouvrage de fond avec le parc national du Mercantour et le parc naturel des Alpes maritimes, en Italie, programmé en septembre. Chez les animaux, où les chats et les chiens alimentent toujours l’essentiel de la production éditoriale, la poule, qui réunit à la fois l’aspect écologique en nettoyant le jardin et la perspective de l’autosuffisance, connaît le même engouement. La grande spécialiste du sujet en France, Patricia Beucher, publie en mars chez Larousse Choisir et élever ses poules, alors que Delachaux et Niestlé a réédité en janvier son guide pratique, Tout pour ma poule d’Elise Rousseau. Toujours chez Delachaux et Niestlé, Marc Giraud, auteur de La nature en bord de chemin, succès en 2013, récidive le 5 mars avec Les animaux en bord de chemin qui décrypte les comportements des animaux rencontrés en ville comme à la campagne.

Point d’orgue de la préoccupation environnementale en 2015, la conférence sur le climat, qui se tiendra du 30 novembre au 11 décembre à Paris, pousse également les éditeurs à renouer avec les essais d’écologie, à la peine depuis plusieurs d’années. Dans sa collection "Pour les nuls", First a commercialisé en octobre Le changement climatique, une somme réalisée en collaboration avec le WWF. Disposant déjà, avec "Anthropocène", d’ouvrages réflexifs, le Seuil a créé fin 2014 une collection de livres de terrain en partenariat avec le site Reporterre, dirigée par Hervé Kempf. Le journaliste veut notamment y déployer des "livres réactifs et accessibles, qui racontent des histoires". Inaugurée avec Le tour de France des alternatives d’Emmanuel Daniel, la série devrait s’enrichir de 4 titres en 2015 dont un ouvrage sur le barrage de Sirvens et un collectif autour du climat. Dans la roue du Seuil, et pour faire suite à la refonte fin 2012 de sa collection historique "Ecologie", Buchet-Chastel a lancé en janvier "Dans le vif", qui vise à éclairer le lecteur sur des sujets d’actualité en délivrant un contenu accessible mais toujours validé par des scientifiques. Six titres sont programmés en 2015.

Naviguant sur le succès des livres de Pierre Rabhi, qui a raflé en 2014 les premières places des meilleures ventes, les éditeurs favorisent également les ouvrages au discours positif. Les Liens qui libèrent publient donc en mars Le temps des révolutions invisibles, qui dresse une "cartographie mondiale de la nouvelle société en train d’advenir", détaille Henri Trubert, fondateur de la maison. Dans la même veine et en lien direct avec la Conférence de Paris sur le climat, qui met sur le devant de la scène les actions des collectivités locales, Rue de l’échiquier propose début mars Et si les maires gouvernaient le monde ?, un panorama d’initiatives efficaces mises en œuvre pas des acteurs de terrain. Une manière, pour Françoise Simon, de "rassurer les gens, qui en ont un immense besoin".

Plume de carotte revoit sa copie

 

Confronté à un phénomène d’usure, l’éditeur spécialisé en nature cultive plus que jamais l’art de surprendre pour trouver de nouveaux leviers de croissance.

 

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Changement de logo, nouvelles orientations éditoriales, maquette et graphisme retravaillés. 2015 sonne, pour Plume de carotte, comme l’année du renouveau après une passe difficile économiquement et malgré le retour de la croissance l’an dernier. "Nous avons eu plusieurs signaux d’alerte de la part des libraires. Nous devions absolument faire la preuve que nous étions capables de repenser notre production", explique Frédéric Lisak, fondateur et directeur de la maison. La forme, créée il y a une dizaine d’années, notamment pour les herbiers, s’étant banalisée, l’éditeur s’est d’abord attelé à l’aspect graphique de ses livres. La réflexion a abouti au très élégant Dans les jardins de la Bible, mis en vente fin 2014. "Il s’agit toujours d’une monographie de plantes, mais nous en avons cassé le rythme. Les planches d’herbier sont regroupées en fin d’ouvrage, sur du papier différent qui leur donne un aspect un peu précieux", détaille Frédéric Lisak. Le renouvellement graphique apparaît également avec la collection "Carnets nature" créée en janvier. Totalement atypique dans le catalogue de Plume de carotte, elle est constituée de recueils de dessins, de croquis ou d’esquisses d’auteurs de BD illustrant leur vision de la nature. Jacques Ferrandez et Loustal inaugurent la série, qui devrait s’enrichir de quatre titres d’ici à la fin 2015.

Autre piste de renouvellement : l’inscription dans les débats actuels. "Sans rompre avec le livre mémoire, qui est notre marque de fabrique, l’idée consiste toujours à raconter des histoires mais pour comprendre le monde d’aujourd’hui et ses liens avec la nature", expose Frédéric Lisak. La mondialisation expliquée par les plantes (titre provisoire), prévu en septembre, décrira ainsi de manière très accessible les enjeux économiques et sociaux liés aux plantes et aux céréales, sans pour autant négliger le volet historique, ni l’idée du beau livre. Troisième piste de réflexion : l’interpellation des adultes sur leur pratique de la nature. Sous couvert d’activités amusantes, Au secours, nos petits-enfants débarquent, annoncé pour avril, incite les grands-parents à transmettre leur connaissance et leur expérience de la nature. Avec toujours l’objectif de "se distinguer et de rester original, notre seule manière de survivre dans un contexte difficile".