L’année 2015 va démarrer très fort au rayon fiction. Les nouveaux romans de Michel Houellebecq et de Virginie Despentes ouvrent le ban et donnent à la fournée romanesque d’hiver des allures de rentrée d’automne. Au risque d’éclipser, comme Emmanuel Carrère en septembre, une partie de la production. Alors que la rentrée d’automne s’est mieux vendue en moyenne en librairie que celle de 2013, les éditeurs de littérature préparent celle d’hiver en reprenant les recettes de l’année précédente, à savoir produire beaucoup en favorisant la fiction française et des auteurs confirmés. Une technique qui a fait ses preuves. Il y a un an, les romans de Maylis de Kerangal et Lola Lafon avaient ainsi porté le premier trimestre 2014. Entre le 31 décembre et le 28 février, 549 nouveautés sont programmées, soit un niveau particulièrement élevé et semblable à celui de 2014 (547 nouveaux titres), avec 353 romans français - dont 59 premiers romans - et 196 fictions étrangères.
Chez les "grands"
Pour assurer le début d’année, Grasset muscle sa rentrée programmant, outre Virginie Despentes, des romanciers aguerris comme Metin Arditi (Juliette dans son bain), Christophe Bataille (L’expérience) ou Patrick Rambaud (Le maître), tandis qu’Actes Sud mise sur le prix Goncourt 2004 Laurent Gaudé de retour d’Haïti (Danser les ombres) et poursuit son accompagnement de Wilfried N’Sonde (Berlinoise), Eugène Durif (L’âme à l’envers) ou Loïc Merle (Seul, invaincu) qui avait fait en 2013 une entrée remarquée en littérature avec L’esprit de l’ivresse. De belles signatures s’affichent aussi chez Albin Michel avec un nouveau roman de Jean-Michel Guenassia (Trompe-la-mort) découvert avec le succès du Club des incorrigibles optimistes, ainsi que Françoise Chandernagor (Vie de Jude frère de Jésus) ou Véronique Olmi (J’aimais mieux quand c’était toi). Vassilis Alexakis (La clarinette) éclaire la rentrée du Seuil aux côtés notamment de Tierno Monénembo, lauréat du prix Renaudot en 2008 (Les coqs cubains chantent à minuit) ou Abdellah Taïa (Un pays pour mourir). Julliard retrouve Lionel Duroy (Echapper), Lattès Valérie Tong Cuong (Pardonnable impardonnable) et Delphine Bertholon (Les corps inutiles), Stock Hubert Mingarelli (La route de Beit Zera) et Justine Lévy (La gaieté), Fayard Patrick Besson (L’indulgence du soleil et de l’automne) et Frédéric Vitoux (Les désengagés). Anne Wiazemsky (Un an après) et Jérôme Garcin (Le voyant) tireront la rentrée de Gallimard, tout comme Jean Rolin (Les événements), Emmanuelle Pagano (Ligne et fils) ou Olivier Cadiot (Providence) porteront celle de P.O.L. Et Flammarion tentera de faire exister aux côtés du Michel Houellebecq ses autres romans dont Dis-moi oui de Brigitte Kernel.
Petits mais costauds
Les maisons plus petites jouent aussi la fidélité à des auteurs solides du catalogue, à l’instar de Sabine Wespieser qui poursuit son accompagnement de Michèle Lesbre (Chemins), Joëlle Losfeld avec Chantal Pelletier (Et elles croyaient en Jean-Luc Godard), Alma avec Arnaud Dudek (Une plage au pôle Nord), Arléa avec Marie Sizun (La maison-guerre) et Vivianne Hamy avec Cécile Coulon (Le cœur du pélican). Le Dilettante mise naturellement sur le nouveau Romain Puértolas (La petite fille qui avait avalé un nuage grand comme la tour Eiffel) et La Fosse aux ours retrouve Antoine Choplin, accompagné cette fois-ci d’Hubert Mingarelli qui cosigne L’incendie. Guérin pourra compter sur Sylvain Tesson (Bérézina) et Buchet-Chastel retrouve Cookie Allez avec Dominique, roman sur un enfant à qui la mère laisse le choix de déterminer librement son sexe. Un questionnement en résonance avec l’actualité sur le genre, les orientations sexuelles et nouvelles parentalités qui n’est pas sans rappeler Gabrielle d’Agnès Vannouvong au Mercure de France. La maison publie par ailleurs Gilles Leroy (Le monde selon Billy Boy) qui renoue avec une veine intimiste tandis que La Table ronde édite Gabriel Matzneff (La lettre au capitaine Brunner).
Exofiction
La dernière rentrée littéraire nous a appris un nouveau terme : "exofiction". A l’opposé de l’autofiction, il définit ce courant de romans inspirés de faits et de vies réelles. Cette tendance se poursuit en 2015 et Plon en profite pour relancer "Miroir", la collection de biographies romancées initiée par Amanda Sthers, avec un roman de Philippe Grimbert sur Noureev. On découvrira sous la plume de Jean-Luc Seigle l’histoire de Pauline Dubuisson, femme condamnée à mort (Je vous écris dans le noir, Flammarion), de la jeune parricide Violette Nozière avec Raphaëlle Riol (Ultra Violette, Rouergue), la vie d’Henri Lehmann, peintre élève d’Ingres grâce à Christophe Bigot (Les premiers de leur siècle), le parcours du mathématicien Evariste Galois avec François-Henri Désérable (Evariste, Gallimard). On en apprendra plus sur James Dean avec Philippe Besson (Vivre vite, Julliard), sur Jaurès avec Jean-Emmanuel Ducoin(Soldat Jaurès, Fayard), sur Aragon avec Gérard Guégan (Qui dira la souffrance d’Aragon ?, Stock), sur Maurice Ravel avec Michel Bernard (Les forêts de Ravel, La Table ronde), sur Karen Blixen avec Dominique de Saint Pern (Baronne Blixen, Stock) et sur Jane Bowles avec Félicie Dubois (Une histoire de Jane Bowles, Seuil), et sur le chanteur afro-américain Gil Scott-Heron avec Abdourahman A. Waberi (La divine chanson, Zulma). La vie de personnages de fiction sera aussi revisitée par deux romanciers : Belinda Cannone propose ainsi une relecture d’Adolphe de Benjamin Constant (Nu intérieur, L’Olivier) et Philippe Bollondi remet les mythes grecs au goût du jour (Ariane dans le labyrinthe, Le Nouvel Attila).
Transgenres et ancrage réaliste
Le cru romanesque 2015 emporte très loin le lecteur et ose des formes hybrides avec des romans transgenres : de l’abécédaire propre à la collection "Vingt-six" de Grasset (Alma Zara, Alain Fleischer) aux contes et allégories comme Erable de Saskia de Rothschild (Stock) ou Luxuosa de Brice Matthieussent (P.O.L). Le dernier prix Médicis remis à Antoine Volodine pour Terminus radieux (Seuil) montre l’appétence pour les formes flirtant avec la littérature dite de genre comme la science-fiction. En janvier, Erwan Larher s’essaie à une saga uchronique (Entre toutes les femmes, Plon), Martin Page prend le pseudo Pit Agarmen pour son roman fantastique Je suis un dragon (Robert Laffont), Frédéric Touchard convoque les codes du pop art, du policier, de l’avant-garde et du roman courtois pour L’hypothèse du prototype (Calmann-Lévy) tandis que les éditions de l’Ogre se lancent avec pour ligne "l’irréalité" (voir encadré ci-contre).
A l’opposé, avec un ancrage dans la réalité du milieu des lettres, plusieurs professionnels de l’édition signent comme chaque année des romans, tel l’éditeur de littérature étrangère chez Gallimard Jean Mattern (Septembre), le directeur de la branche jeunesse d’Actes Sud Thierry Magnier (Ma mère ne m’a jamais donné la main, Le Bec en l’air), le P-DG de La Découverte Hugues Jallon (La conquête des cœurs et des esprits, Verticales), l’ancien patron de Fayard Claude Durand (Usage de faux, de Fallois) et Alexandre Civico, des éditions Incultes (La terre sous les ongles, Rivages). L’avocat et collaborateur de Livres HebdoEmmanuel Pierrat s’inspire de son quotidien dans Le procès du dragon (Le Passage). Emmanuelle Allibert, attachée de presse chez Lattès, racontera des anecdotes sur le métier d’écrivain (Hommage de l’auteur absent de Paris, Léo Scheer) tandis que Claire Fercak, qui officie à la presse du département Savoir de Flammarion, poursuit en parallèle son travail de romancière (Histoires naturelles de l’oubli, Verticales). Enfin, Juliette Kahane, la fille de Maurice Girodias, racontera dans Une fille (L’Olivier) la difficulté de grandir auprès de ce père, qui fut l’un des plus emblématiques éditeurs de l’après-guerre et le fondateur du Chêne. A.-L. W. avec S. L.
A ne pas manquer
Virginie Despentes
Vernon Subutex, 1 (Grasset)
Quatre ans et demi après Apocalypse bébé, prix Renaudot 2010, Virginie Despentes revient avec Vernon Subutex, 1, tiré à 50 000 exemplaires. Ancien disquaire à la dérive, Vernon est expulsé de son appartement parisien après la mort par overdose d’Alex Bleach, une pop star qui avait l’habitude de se droguer chez lui. S’en suivent une chasse au trésor - tout le monde cherche la vidéo que la célébrité a laissée avant de mourir - et une chasse à l’homme dont Vernon ignore être l’objet puisqu’il squatte d’appartements en appartements. Le deuxième volet est attendu pour mars 2015.
Jean Rolin
Les événements (P.O.L)
Ecrivain voyageur, Jean Rolin livre dans son nouveau roman, Les événements, le récit d’une traversée de la France dans un contexte de guerre civile. Tiré à 12 000 exemplaires, il ne s’agit pas d’un ouvrage de prospective mais d’une tentative de description d’un pays "stable" confronté à la violence et au bouleversement de son mode de vie. En 2013, Jean Rolin a reçu le prix de la Langue française pour l’ensemble de son œuvre.
Anne Wiazemsky
Un an après (Gallimard)
Trois ans après le succès d’Une année studieuse (Gallimard), Anne Wiazemsky reprend le récit de son histoire d’amour avec le cinéaste Jean-Luc Godard dans Un an après, tiré à 50 000 exemplaires. Elle y raconte leur installation dans un appartement à Paris, l’étiolement de leur mariage, et finalement leur séparation en 1969, avec pour toile de fond les événements de Mai 1968 et les portraits de nombreux artistes et intellectuels dont François Truffaut et Gilles Deleuze.
Romain Puértolas
La petite fille qui avait avalé un nuage grand comme la tour Eiffel (Le Dilettante)
L’aventure rocambolesque d’un fakir coincé dans une armoire a valu à Romain Puértolas de s’attirer tous les honneurs dès son premier roman, vendu à 290 000 exemplaires en France et en cours d’adaptation pour le cinéma. Toujours au Dilettante, l’auteur embarque pour un nouveau voyage dans La petite fille qui avait avalé un nuage grand comme la tour Eiffel, tiré à 60 000 exemplaires. Le lecteur suit le périple haletant de Providence Dupois, une jeune factrice qui s’apprête à chercher en Afrique la petite fille qu’elle a adoptée, quand un volcan islandais se réveille, paralysant le trafic aérien européen.
Laurent Gaudé
Danser les ombres (Actes Sud)
Le lauréat du prix Goncourt 2004 avec Le soleil des Scorta s’est laissé porter par Haïti, la frénésie de Port-au-Prince et la force de ses habitants. Danser les ombres, tiré à 70 000 exemplaires, raconte l’histoire d’une jeune femme qui revient dans la capitale où elle veut désormais inventer sa vie, mais qui se trouve confrontée au séisme qui a ravagé le pays en 2010.
Michel Houellebecq
Soumission (Flammarion)
?
Le 7 janvier.
Transferts d’auteurs : le chassé-croisé de la rentrée
Si la saison est moins propice aux transferts que la rentrée d’automne, il y a quelques mouvements en ce début d’année. Vassilis Alexakis opère un retour aux sources en confiant La clarinette au Seuil, où il avait publié cinq romans dans les années 1980 avant de suivre son éditeur Jean-Marc Roberts chez Stock. La mémoire de celui-ci, disparu au printemps 2013, irrigue ce nouveau roman. Dominique de Saint Pern auparavant éditée par Grasset a suivi Manuel Carcassonne chez Stock, éditeur d’Anne Plantagenet qui fait une petite incartade pour la rentrée grand format de J’ai lu. Après Flammarion et Fayard, Chahdortt Djavann arrive chez Grasset tandis que Philippe Grimbert, auteur maison, fait quant à lui un détour exceptionnel par Plon pour confier un titre dans la collection "Miroir" d’Amanda Sthers. Rivages qui reconstruit un catalogue français accueille deux premiers romans ainsi qu’Hadrien Laroche(Qui va là ?) dont les deux derniers livres avaient paru chez Flammarion. Découvert chez Serge Safran éditeur, qui par ailleurs accueille Bertrand Leclair, Christophe Carlier arrive chez Phébus. Jean Mattern retrouve la maison où il travaille puisque après trois romans chez Sabine Wespieser il publie chez Gallimard, qui accueille aussi Carole Fives repérée avec ses deux premiers romans au Passage. Abdourahman Waberi passe de Lattès à Zulma pour une Divine chanson. Enfin, Martin Page, romancier publié d’ordinaire par les éditions de L’Olivier, change ponctuellement de nom et d’éditeur. Il signe sous le pseudo Pit Agarmen Je suis un dragon chez Robert Laffont comme il l’avait déjà fait en 2012 pour La nuit a dévoré le monde.
La toute première fois
C’est en hiver qu’ils ont choisi de faire leurs premiers pas. Préludes, le label créé par la P-DG du Livre de poche Véronique Cardi, comme les éditions de L’Ogre publient en effet leurs premiers titres en janvier et février. Remplaçant la marque Le Livre de poche éditions, Préludes mise sur de nouveaux talents de la scène littéraire française et étrangère. Au programme : dix titres par an, des premiers romans ou des premières traductions en France, en format semi-poche et à petit prix. Un pari osé sur des textes inédits qui viendront enrichir le catalogue numérique du Livre de poche.
L’audace fait aussi partie de l’ADN des éditions de L’Ogre, qui mettent à l’honneur la littérature de l’"irréalité". En janvier sont ainsi attendus Aventures dans l’irréalité immédiate, de Max Blecher, et Quelques rides, de Fabien Clouette. Créée par Benoit Laureau et Aurélien Blanchard, la maison publiera huit romans par an, français ou étrangers (2 en janvier, 2 en mars, 2 en mai et 2 à l’automne).
Editeur de genres, Milady (label de Bragelonne) profite de la rentrée de l’hiver pour développer sa ligne de littérature généraliste au sein de la collection "Romans". L’éditeur publiera notamment un premier roman de Charlotte Bousquet, Fanny, en février. Enfin, Caraïbéditions se lance dans la littérature avec Le griot de la peinture d’Ernest Pépin, sur Jean-Michel Basquiat.
Les femmes prennent l’avantage
Cette année, fait rare, les primo-romancières sont plus nombreuses que leurs collègues masculins. Beaucoup de premiers romans abordent le thème de l’adolescence et de ses tourments, et les conséquences des événements dramatiques sur l’existence.
Stablité pour les premiers romans. Nous en avons recensé en 59 à paraître en janvier et février 2015, contre 60 l’année précédente. Gallimard est l’éditeur le plus avide de découvertes : il publie cette année quatre primo-romanciers. Arléa, Grasset, Kennes éditions, Rivages et Riveneuve en éditent deux. Mais pour la plupart des maisons, un seul, c’est bien suffisant.
Fait exceptionnel : les femmes sont les plus nombreuses alors que les années précédentes elles ne représentaient qu’un gros tiers des auteurs de premiers romans. On compte 35 romancières pour 24 auteurs masculins. Beaucoup sont journalistes : Véronique Maumusson (correspondante à Los Angeles), Michel Moutot (Agence France Presse), prix Albert-Londres, Saskia de Rothschild (International New York Times), Eloïse Cohen de Timary (Socialter, magazine d’économie) et Olivier Maison (Marianne), aujourd’hui directeur d’un collège-lycée. Eric Metzger est auteur pour "Le petit journal" de Canal+. A noter : l’entrée en littérature du chanteur Marc Lavoine et de l’éditeur Alexandre Civico (éditions Inculte).
De nombreux auteurs ont un métier moins attendu, notamment dans le domaine des sciences. Arrigo Lessana a été chirurgien, Philippe Bollondi est un ancien libraire devenu psychomotricien, Philippe André est psychiatre, psychanalyste et musicien, Philippe Siou est médecin à l’Hôpital américain à Paris, Cécile Huguenin a été psychologue. Isabelle Bergoënd, qui a été membre du jury du Livre Inter, est physicienne. Autres profils inhabituels : Michel Goussu, blogueur et chroniqueur littéraire, a travaillé dans la gestion du risque bancaire, Yves Cabana dirige une collectivité territoriale, Jean-Marc Lombard travaille dans le même type de structure et Rachel Vanier évolue dans le monde des start-up.
Drames
La production est marquée par des événements dramatiques. Dans Les bijoux de pacotille (Arléa) de Céline Milliat-Baumgartner, un accident de voiture rend deux enfants orphelins. Rachel Vanier (Hôtel international, Intervalles) raconte le parcours d’une femme, désemparée après le suicide de son père. Dans Les genoux écorchés (Christophe Lucquin), Philippe Vourch décrit un homme marqué par l’absence de son père, mort alors qu’il était enfant.
Passage à l’âge adulte
De nombreux romanciers évoquent plus traditionnellement l’adolescence et ses tourments. Dans La vie de jardin (Gallimard), Alexis Brocas raconte l’histoire d’un groupe d’amis, élevés selon une éducation catholique, qui découvrent la drogue et la fête. Le héros de La nuit des trente (Gallimard) d’Eric Metzger décide de passer une nuit spéciale pour fêter ses 30 ans, âge qui marque son passage à l’âge adulte. Dans Ceux de la plaine (Kero) d’Olivier Maison, un fils se remémore ses souvenirs d’enfance et d’adolescence, alors que son père est mourant. Sylvia Hansel retrace les trois années d’idylle platonique d’une lycéenne pour un garçon dans Noël en février (Rue Fromentin).
Femmes
Les figures féminines sont au cœur de plusieurs romans. Dans Le premier jour du reste de ma vie (City) de Virginie Grimaldi, l’héroïne quitte son mari et se lie d’amitié avec deux femmes dont la vie est aussi à un carrefour. Cécile Huguenin, auteure de La saison des mangues (Héloïse d’Ormesson), raconte le destin de trois générations de femmes en Inde. Souad n’est plus (Riveneuve) de Malika Fecih met en scène une femme issue d’une famille algérienne immigrée en France, qui, malgré sa réussite sociale, demeure rongée par un mal. A. A et M. Q.
L’Europe au rendez-vous
Au-delà des rendez-vous avec des auteurs reconnus comme Milena Agus, António Lobo Antunes, Russell Banks, Julian Barnes, la rentrée de janvier sera celle des découvertes, avec le Danois Kim Leine ou le cinéaste Emir Kusturica.
Un fait historique - le lynchage de quatre sœurs dans les Pouilles en 1946 - pour Milena Agus, des nouvelles pour Russell Banks et Emir Kusturica, des chroniques pour Julian Barnes et un texte sombre sur la maladie et la mort pour António Lobo Antunes… la rentrée de janvier joue sur la surprise, l’écart avec les romans traditionnels des auteurs déjà connus. Pourtant, certains romans sont plus habituels et attendus, notamment Les luminaires d’Eleanor Cattone, Man Booker Prize 2013 (Buchet-Chastel), J d’Howard Jacobson, finaliste du même Man Booker Prize en 2014 (Calmann-Lévy), Sous l’eau de Deborah Levy (Flammarion), finaliste 2012, ou Les prophètes du fjord de l’Eternité du Danois Kim Leine, grand prix de Littérature du Conseil nordique. Sont au rendez-vous de janvier Nikki Gemmell avec un texte sur l’intimité des corps (Au Diable vauvert), Peter Ackroyd avec l’histoire de trois frères dans le Londres d’après-guerre (Philippe Rey), Hugo Hamilton avec Un voyage à Berlin, inspiré du périple que l’auteur a fait en compagnie de la romancière irlandaise Nuala O’Faolain avant qu’elle ne meure d’un cancer (Phébus). Les lecteurs retrouveront aussi Alan Hollinghurst (Albin Michel), Stephen McCauley (Baker Street), Will Self avec un héros psychiatre (Parapluie, L’Olivier), Diane Setterfield (Plon), absente depuis dix ans, pour un roman gothique, et Marcel Theroux (Plon). Tandis que Naguib Mahfouz joue la mise en abyme et le théâtre (Les noces du palais, Sindbad).
Découvertes
Les éditeurs misent plutôt sur des découvertes, bien décidés à faire partager leur enthousiasme. Belfond annonce Thomas Matthew pour un livre qui a fait événement à Francfort en 2013 (Nous ne sommes pas nous-mêmes), et le Seuil Nadeem Aslam pour un roman situé au Pakistan. Bourgois mise sur un jeune auteur, Walter Kirn (Mauvais sang ne saurait mentir) dont l’accueil est d’ores et déjà très favorable. Egalement très branché, Incandescents de Frode Grytten (Buchet-Chastel) décrit de l’intérieur le groupe The Clash, à New York durant l’été 1981. Gallimard présente un ovni littéraire, Canevas de l’Allemand Benjamin Stein qui se compose de deux récits présentés tête-bêche : le premier raconte comment Amnon Zichroni, psychanalyste, encourage son ami violoniste Minsky à écrire son enfance dans un camp nazi ; dans le second, le journaliste Jan Wechsler démontre que ce succès a été inventé de toutes pièces. Sans oublier les premiers romans du Brésilien João Anzanello Carrascoza (Anacaona), des Américains Koren Zailckas (Belfond) et Brian Hart (Seuil), de l’Allemande Lena Gorelik et de l’Anglaise Colette McBeth (Les Escales), de l’Américain Kim Zupan (Gallmeister) et de l’Italien Filippo d’Angelo (Noir sur blanc).
Vague européenne
Si les Anglo-Saxons se taillent la part du lion, les auteurs européens ne sont pas en reste. On assiste à une nouvelle vague italienne (16 titres) tandis que la littérature allemande (13 titres) et la littérature suédoise (6 titres), qui s’est engouffrée dans la vogue du polar, se portent bien. La jeune maison Piranha lance ses premières fictions traduites de l’allemand signées Zsuzsa Bánk et Sibylle Lewitscharoff, avec des romans évoquant passé et liens familiaux, et Eva Baronsky, avec un premier roman mettant en scène Mozart. Les écrivains d’Europe de l’Est sont aussi bien présents : quatre Russes, Elizabeth Alexandrova-Zorina (L’Aube), Elena Botchorichvili (Naïve), Oleg Pavlov, prix Soljenitsyne 2012 pour l’ensemble de son œuvre (Noir sur blanc) et Léonid Guirchovitch (Verdier) ; trois Roumains, Lucian Dan Teodorovici (Gaïa), Stefan Agopian (Jacqueline Chambon) et Florina Ilis (Syrtes) ; un Serbo-Croate, le célèbre cinéaste Emir Kusturica (Lattès) ; l’Ukrainien Yuri Andrukhovych (Noir sur blanc) ; sans oublier le Polonais Andrzej Bobkowski (Noir sur blanc).
Avec le Lituanien Ricardas Gavelis qui relate l’histoire de Vytautas Vargalys, bibliothécaire chargé de référencer les œuvres mises à l’index (Vilnius poker, Monsieur Toussaint Louverture), le Suédois Peter Stjernström, dont le héros veut écrire Le meilleur livre du monde (Le Cherche Midi) ; celui de l’Américain John Niven qui reçoit un prix littéraire accompagné d’une terrible condition (Enfant terrible, Sonatine), ou l’héroïne de La bibliothèque des cœurs cabossés de la Suédoise Katarina Bivald (Denoël), qui monte une librairie pour se consoler… ce ne sont que des histoires de livres. C. C.
A ne pas manquer
Milena Agus
Prends garde (Liana Levi)
L’auteure sarde de Mal de pierres (en cours d’adaptation au cinéma par Nicole Garcia) revient avec un livre écrit avec la journaliste parlementaire, figure de la gauche italienne, Luciana Castellina, racontant le lynchage des quatre sœurs Porro dans les Pouilles en 1946. La première donne chair aux victimes en imaginant leur vie de famille. La seconde analyse les faits, sur fond de jacqueries paysannes…
António Lobo Antunes
Au bord des fleuves qui vont (Bourgois)
Atteint d’un cancer à un stade avancé, un homme se remémore son passé sur son lit d’hôpital, espérant puiser dans ses souvenirs la force de lutter contre le mal qui le ronge. Mais "Monsieur Antunes du lit numéro onze" se refuse à sombrer dans le pathétique et préfère images sensorielles et saillies comiques pour retrouver "les mystères et la joie perdue de l’enfance". Pour les fans du style bouillonnant de l’auteur portugais de La nébuleuse de l’insomnie.
Russell Banks
Un membre permanent de la famille (Actes Sud)
Des couples qui divorcent, des femmes noires traquées par des pit-bulls, des mythomanes qui prennent les autres en otage… L’auteur de De beaux lendemains se place sous le signe de Raymond Carver et en adopte le style sobre pour peindre en douze nouvelles une Amérique qui perd la tête et se perd elle-même.
Julian Barnes
Par la fenêtre (Mercure de France)
Le plus francophile des écrivains britanniques s’amuse dans ces dix-huit chroniques (et une nouvelle), à travers le portrait de romanciers, à dévoiler "ce lien profondément intime qui s’établit quand la voix d’un écrivain entre dans la tête d’un lecteur". Bien sûr, sur les dix-huit romanciers, la plupart sont français ou francophones comme Mérimée, Chamfort, Flaubert, Michel Houellebecq…
Emir Kusturica
Etranger dans le mariage (Lattès)
Décidément, le cinéaste, acteur, musicien a tous les talents. Après Où suis-je dans cette histoire ?, ce recueil de six nouvelles est son second livre. Il y oscille entre fantaisie et noirceur, joue du "réalisme magique" que l’on retrouve dans ses films, en mettant en scène des jeunes gens dans la Bosnie-Herzégovine des années 1970, confrontés au monde des adultes et à des histoires d’amour bien sûr impossibles.