Auteur exigeant et atypique, dont les aplats de couleur évoquent les réclames des années 1930, Bernard Granger dit Blexbolex s'est fait reconnaître d'un large public avec le très bel Imagier des gens (Albin Michel Jeunesse, 2008). Il entreprend cette fois en deux volumes d'inégale ampleur mais étroitement liés un voyage sombre et troublant dans les tréfonds de la conscience d'une société gangrenée. Le plus concentré de ces polars futuristes aux accents kafkaïens, Crimechien, constitue pour Hors-zone un "prequel" parmi d'autres possibles, qui introduit à l'univers surréel de Blexbolex. Un mystérieux enquêteur s'y fait piéger au fil d'une intrigue à tiroirs politiques et mafieux sur la disparition d'une chienne. Hors-zone saisit ensuite l'enquêteur entre la vie et la mort pour un parcours halluciné dans les méandres de la mémoire, dans un espace interstitiel indéterminé... hors zone.
Avec un texte volontiers argotique et savamment déstructuré, Blexbolex procède par collages d'impressions et de réminiscences. Il restitue par bribes les symptômes pathologiques d'un monde basculant dans la violence. Surgissent tour à tour des images dévoyées du Vaisseau fantôme, du Livre de la jungle, de Tarzan, Bob Morane ou Tintin au Congo, un Chat botté revisité, une guerre qui pourrait être celle de 14-18. Dans un univers mental oscillant entre Léo Malet et Joseph Conrad, l'homme n'a le choix qu'entre rébellion et anéantissement, à moins d'être condamné aux deux.