Avant-critique Roman

E. J. Levy, "Le médecin de Cape Town" (Éditions de l'Olivier)

EJ Levy - Photo © Miriam Berkley

E. J. Levy, "Le médecin de Cape Town" (Éditions de l'Olivier)

Tiré d'une histoire vraie, le premier roman d'E.J. Levy raconte l'incroyable destin d'une femme qui s'est transformée en homme pour exercer son métier de médecin.

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Par Kerenn Elkaim
Créé le 17.04.2023 à 09h00

L'invention de soi. « C'est étrange, ce dont on se souvient, ce qu'on oublie. » Peut-être est-ce une façon de garder l'essentiel. Margaret va vivre une destinée rebelle. Cette adolescente à l'intelligence exceptionnelle grandit au sein d'une famille irlandaise endettée. Rejetant la précarité, sa mère l'entraîne à Londres en espérant que son frère, un artiste de renommée, les sauvera. Or voilà qu'il décède prématurément. C'est finalement le général vénézuélien Mirandus qui prend Margaret sous son aile, en lui offrant les clefs d'une éducation littéraire, philosophique et politique. Mais Margaret « souffrait du pire défaut imaginable à la fin du XVIIIe siècle comme en d'autres temps : elle était née fille ». Un frein désolant pour cette jeune pousse si douée les études. « Il existait tellement de situations où les femmes étaient inégales - la médecine, l'armée, l'université. À en croire la loi, le sexe féminin devait être une puissance monstrueuse - risquant à tout moment de dépasser les hommes. » Aussi est-il préférable de cantonner les femmes aux rôles d'épouse et mère de famille. Margaret sent toutefois que cela ne lui ressemble pas. Passionnée d'anatomie, elle rêve d'une carrière médicale. Impossible ! Seule option, se métamorphoser en homme et adopter une autre identité. Elle devient Jonathan Mirandus Perry. « Elle est morte pour que je puisse vivre, Margaret. Un nouveau nom m'avait donné ma vie, mais un nom m'avait aussi effacée. Avait dissimulé la vérité. M'avait coûté. » Camoufler ses seins ou sa féminité n'est pas une mince affaire, mais, peu à peu, l'héroïne prend goût à ce jeu qui lui ouvre toutes les portes. « Je m'installais dans mon corps comme dans un fauteuil confortable. Malgré ma petite stature, j'avais le maintien des hommes libres, comme si le monde m'appartenait. » Investi dans son métier, le Dr Perry devient médecin des armées et, lors de ses missions en Afrique, se frotte à la réalité des esclaves, reflet de sa propre quête de liberté. Sa rencontre avec Lord Somerton, gouverneur des colonies, va toutefois chambouler toutes ses certitudes. « Je ne céderais pas à l'amour. Pour moi, le cœur ne serait qu'un organe parmi d'autres », s'était promis Margaret avant de devenir Perry, mais les sentiments sont plus puissants que tout.

Enseignante et nouvelliste, E.J. Levy fait une entrée fracassante en littérature avec cette formidable aventure romanesque, amoureuse et féministe. Son héroïne a réellement existé jadis, sous les traits du Dr James Miranda Barry, et on l'imagine aisément se réincarner sur grand écran. Le cran de cette femme fabuleuse et avant-gardiste nous renvoie à de puissants questionnements existentiels. « Qui parmi nous ne porte pas de masque ? Qui se révèle vraiment au monde ? On peut se forger une existence, s'inventer soi-même et son histoire », mais à quel prix ? « L'espoir est un choix. À quoi mesure-t-on une vie ? À la façon dont elle est vécue ou à ce que nous laissons en héritage ? » Peut-être au courage qu'il a tout simplement fallu pour la traverser.

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