Tous les écrivains ont leur secret. Celui d’Umberto Eco (1932-2016) tenait dans sa bibliothèque. C’est dans les quelque 30 000 volumes de son appartement milanais qu’il fouillait à la recherche d’une citation, d’une idée, ou seulement pour le plaisir de baguenauder dans le savoir avec une préférence pour le Moyen Age. Voici donc l’intégralité de ses explorations médiévales dont l’écrivain italien mort le 19 février dernier tirait des essais à destination des chercheurs et des curieux ou des romans. Disons-le d’emblée, hormis les quelques interventions moins académiques placées dans la dernière partie et à destination d’un public plus large, il n’y a rien de nouveau dans ce volume. Tout a déjà été publié. Le sémiologue le dit d’ailleurs sans barguigner. Mais la réunion de tous ces écrits donne une cohérence au discours du savant et l’on voit se dessiner une science nouvelle et bizarre que l’on pourrait nommer Ecologie. "Il ne fait pas de doute que je suis né à la recherche en traversant des forêts symboliques peuplées de licornes et de griffons."
L’auteur du Nom de la rose (Grasset, 1982) déballe donc ses livres, son savoir, sa passion de connaître, tout cela sans forfanterie, au coin du feu, un Toscano et le sourire aux lèvres. Evidemment, tout Eco ne s’explique pas par le seul Moyen Age. Il y avait dans la bibliothèque du sémiologue bien d’autres livres sur d’autres périodes. Mais tout de même, il y a comme une matrice. Eco le confesse. "Le Moyen Age n’a pas été ma profession, mais est resté mon hobby et ma préoccupation constante."
Pas de doute, il est à l’aise dans cette époque que l’on sait désormais bien moins sombre qu’on ne l’a cru, avec ces disciples d’Aristote inflexibles ou ces théologiens replets qui se prennent pour des dieux. Il suffit de lire l’entretien imaginaire qu’il propose avec Thomas d’Aquin.
Le Moyen Age lui permet aussi d’aborder la question du faux. "La culture moderne, pétrie de philologie, sait que de nombreuses falsifications ont été commises au Moyen Age. Mais le Moyen Age le savait-il lui-même ? Possédait-il le concept de falsification ? Si oui, était-il semblable au nôtre ?" Evidemment non ! Et Umberto Eco s’amuse avec le faux comme il jongle avec le vrai. Le Moyen Age est une grille de lecture qui lui offre toute une combinatoire réjouissante pour traiter des problèmes d’aujourd’hui dans le silence d’hier. Car lui seul s’y retrouve dans ces grimoires, dans ces paroles proférées, dans ces interdits dépassés.
On ira donc picorer chez Eco - un index facilite la tâche - parce qu’il y a toujours quelque chose à en retirer. Et surtout des façons, comme il le dit lui-même, de "rêver le Moyen Age". C’est après tout de là que sont sorties en grande partie les œuvres de Tolkien, la série des Harry Potter ou la saga de Game of thrones. En lisant ces essais, on comprend pourquoi et on pressent que la fascination n’est pas près de s’arrêter. Laurent Lemire