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Elle francise les bibliothèques outre-Atlantique

Anne de la Rochefoucauld, vice-présidente d'Amalivre. - Photo OLIVIER DION

Elle francise les bibliothèques outre-Atlantique

Avec Amalivre, société qu'elle dirige depuis 2018, Anne de la Rochefoucauld et son équipe introduisent des ouvrages francophones dans les bibliothèques américaines et canadiennes. Leader en France dans son domaine, elle opère sur un marché de plusieurs centaines de milliers de dollars.

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Par Par Isabel Contreras,
Créé le 06.04.2022 à 12h55

Avant que le Covid ne paralyse le trafic aérien, Anne de la Rochefoucauld, 38 ans, avait l'habitude de traverser l'Atlantique plusieurs fois par an. Elle se rendait aux États-Unis pour retrouver ses clients : environ 300 responsables de collection de bibliothèques de recherche ou publiques. Elle échangeait avec eux sur l'évolution de leurs pratiques et les thématiques du moment. « Depuis plusieurs années, ils s'intéressent à la "Black european experience" ou la culture des noirs européens, explique-t-elle. Dans la continuité du mouvement Black lives matter, ils cherchent à développer leurs collections sur les "Afropeans". » De retour en France, son carnet rempli de commandes, elle retrouve son équipe d'Amalivre. Cette librairie, fondée par son père et issue du rapprochement, en 2014, de la librairie Aux Amateurs de Livres International et la Librairie internationale Touzot, fournit des ouvrages francophones aux bibliothèques américaines, canadiennes et européennes.

De la BNP à Amalivre

Les établissements situés aux États-Unis représentent 60 % du chiffre d'affaires de cette société. « Nos plus gros clients disposent d'un budget annuel consacré aux ouvrages francophones de plusieurs centaines de milliers de dollars », fait savoir celle qui, durant près de quinze ans de vie professionnelle, n'a côtoyé ni universitaires mormons ni élitistes de l'Ivy League. Diplômée de l'ESSEC, elle démarre sa carrière chez BNP Paribas où elle participe au développement stratégique de la banque en ligne Hellobank ! En 2018, elle claque les portes du monde de la finance pour reprendre le business familial. « J'avais déjà beaucoup discuté avec mon père d'Amalivre et de la reprise de l'entreprise à son départ à la retraite. J'étais prête et enthousiasmée par le projet, l'univers est passionnant. » Après avoir pris connaissance des clients, elle recense leurs besoins et lance une importante bascule informatique qui a, depuis, permis à Amalivre de se doter d'un système pointu de catalogage. « C'est notre savoir-faire le catalogage, poursuit-elle. Nous proposons des notices en anglais au format Marc21 et sommes même en capacité de créer des autorités pour notre partenaire, la Bibliothèque du Congrès américain. » Des autorités ? « C'est un terme assez technique, explique-t-elle. Une autorité sert à identifier une personne, un lieu, ou tout autre concept pour éviter la confusion avec un homonyme. Chaque auteur est une autorité, une ville peut être une autorité, une période historique... Il s'en crée des nouvelles tous les jours. »

Des sciences humaines au Goncourt

Les demandes des bibliothécaires américains illustrent la diversité idéologique et sociétale de cet immense pays. « Chez Princeton Theological, les bibliothécaires acquièrent tout ce qui a trait au christianisme, souligne-t-elle. Pour BYU, l'université mormone dans l'Utah, nous sélectionnons beaucoup de titres de généalogie et de sciences humaines en général. Récemment, les bibliothécaires de Yale et d'Harvard nous ont demandé d'insister sur la dimension "DEI" (diversity, equality and inclusion) de leurs collections en faisant la part belle aux auteurs issus de certaines minorités. » La fiction est aussi demandée, notamment le dernier Goncourt signé Mohamed Mbougarr Sarr : « Une formidable accroche qui détone dans une littérature française à prédominance blanche ».

Les clients américains d'Amalivre sont issus de la recherche mais aussi des établissements publics, comme la célèbre New York Public Library, ou des musées comme le Guggenheim. Plusieurs d'entre eux dépendent de fonds de dotation privés cotés en Bourse. « Les budgets des bibliothèques diffèrent d'une année sur l'autre, indique Anne de la Rochefoucauld. Ils sont très dépendants de la santé financière du pays en général, le Covid a par exemple impacté à la baisse les dotations. » Cela n'empêche pas la production française de se tailler une bonne place outre-Atlantique, et ce depuis de nombreuses années. « Il y a cette idée de conservation du savoir qui est très importante pour eux. » Quitte à ne plus trouver de rayons vides pour exposer les références nouvellement acquises : certaines bibliothèques américaines sont obligées de stocker leurs livres dans des entrepôts parfois situés à des centaines de kilomètres de l'établissement...

De beaux jours devant eux

Côté français, la bonne santé financière d'Amalivre est toujours d'actualité. Si elle ne s'est toujours pas déplacée aux États-Unis en 2022, Anne de la Rochefoucauld multiplie les allers-retours sur la ligne 8 à Paris. De la Motte-Piquet où travaille l'équipe d'Amalivre à Charonne où se trouve le siège de l'Appel du Livre, librairie spécialisée dans la fourniture d'ouvrages aux bibliothèques françaises. La première s'est rapprochée de la deuxième à la mi-février en devenant son actionnaire majoritaire. « La richesse de ce rapprochement vient de la complémentarité de nos deux enseignes historiques, précise encore la dirigeante. Nous partageons le même métier de libraires, la même culture familiale et indépendante et l'engagement d'offrir aux bibliothèques françaises et étrangères un service personnalisé à dimension humaine. »

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