Le titre est un clin d’œil au premier tome des Mythologiques de Lévi-Strauss sur Le cru et le cuit. L’essai, lui, est aussi malin que passionnant. Entre les peuples qui connaissent ou non la cuisson, Marie-Claire Frédéric envisage une troisième voie qui permet d’appréhender les civilisations : le fermenté. Donc le Ni cru ni cuit. Journaliste et critique gastronomique, auteure de nombreux ouvrages de cuisine, Marie-Claire Frédéric nous invite à un voyage savoureux et savant, fruit d’un travail de plusieurs années sur cet autre moyen de se nourrir qui serait apparu avant l’apprivoisement du feu.
Excellent conservateur, apporteur d’énergie et de saveur, le fermenté se retrouve aux sources de la religion chrétienne avec le pain et le vin. Avec une belle conviction, de nombreux exemples et illustrations, Marie-Claire Frédéric montre que le ferment, c’est le vivant, l’aliment qui relie les hommes aux dieux, mais aussi les hommes entre eux au travers de la bière, du chocolat, du thé ou du café.
En route donc pour le roquefort français, le nuoc-mâm vietnamien, le pain au levain de San Francisco ou le surströmming suédois, des harengs fermentés particulièrement agressifs. Car derrière le faisandé ou le boucané se dessine la frontière entre le fermenté et le pourri, entre le pur et l’impur, entre le sauvage et le civilisé, entre le répugnant pour un Européen et le succulent pour un Africain. Dans ses chapitres alertes, Marie-Claire Frédéric distille aussi quelques recettes comme le magret de canard séché aux aromates, le corned-beef, le gravlax, les anchois au sel, l’hydromel, la choucroute ou le ketchup dans sa version originelle, d’inspiration asiatique.
Au cours de ce voyage dans les mythes et les archétypes des cinq continents, on fait de belles découvertes et on apprend que, dans un monde pasteurisé et puritain, le fermenté identitaire et culturel résiste à la standardisation alimentaire et à l’aseptisation du goût. Car la fermentation, c’est aussi la mémoire, la transmission du temps passé et des traditions. Marie-Claire Frédéric nous parle de tout cela dans son livre audacieux, subtil et généreux.
L. L.