Au festival littéraire de Macondo, à Nairobi, dont la 4e édition s'est achevée le 22 septembre avec plus de 1 000 visiteurs sur trois jours, les fondateurs, la journaliste allemande Anja Bengelstorff et l’autrice kenyane Yvonne Adhiambo Owuro (La maison au bout des voyages traduit par Françoise Pertat, Actes Sud, 2017) ont choisi dès le départ d’inviter des auteurs du continent africain ou de la diaspora qui écrivent en anglais, en français, en arabe ou en portugais.
Dans des éditions passées, le festival a invité parmi les auteurs Abdulrazak Gurnah (prix Nobel de littérature en 2021, Galaade, Denoël) ou Mia Couto (Éditions Métailié) les auteurs francophones Hemley Boum (La Cheminante, Gallimard), Youssef Fadel (Actes Sud) et Patrice Nganang (Philippe Rey, JC Lattès, Teham).
Le thème du festival cette année, était « La mer porteuse d’histoire ». Dans ce cadre, des invités comme l’auteur malagasy (du Madagascar), Johary Ravaloson résidant à Caen, ainsi que l’écrivain algérien Hamza Koudri étaient présents. L’un est l'auteur de six romans écrits en français, l’autre vient de publier son premier roman en anglais. Johary Ravaloson dont le dernier roman, Tribunal des cailloux (Éditions Dodo vole) à propos d’une adolescente à Antananarivo victime d’inceste, a fait partie de la sélection du Grand Prix du Roman Métis 2024, était à Nairobi avec la traduction en anglais de son deuxième roman, Les larmes d’Ietsé (Éditions Dodo vole, 2013).
Hamza Koudri, directeur du British Council à Alger, a écrit son premier roman, Sand Roses (Holland House Books, 2023), en anglais. Sand Roses, un roman historique situé pendant l’occupation française, a été présélectionné en 2022 pour The Island Prize, un prix ouvert aux auteurs non publiés du continent africain. La question que la majorité des Kenyans lui ont posée, a-t-il dit, est pourquoi il n’a pas écrit son roman en français. Sa réponse : « Ils sont conscients du colonialisme. »
L'anglais concurrence de plus en plus le français en Algérie
Bien que, selon l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), près de 15 millions d'Algériens parlent français, Koudri fait partie d’une nouvelle génération qui se tourne vers l’anglais pour s’exprimer. Depuis 2022, en Algérie, l'anglais est enseigné en même temps que le français dans les écoles primaires publiques. La langue de Shakespeare va aussi être introduite comme langue d'enseignement dans les universités.
Hamza Koudri, comme Johary Ravaloson, était au Kenya pour la première fois et s’est dit chanceux « d'être célébré en tant qu'auteur en dehors de mon pays et de pouvoir raconter l'histoire de l'Algérie. Je me sens africain et je me fais un devoir de le rappeler. »
Johary Ravaloson s’est réjoui du fait qu’à Macondo les auteurs soient africains. « Mais c’est très ouvert, ce sont moins les origines qui comptent et c’est surtout le livre lui-même. »
Le choix de la langue est un parcours de la vie, a-t-il dit, ajoutant qu’il s’est mis à écrire en français parce qu'il était « nourri de livres en français, » qu’il lisait au Centre Culturel Albert Camus à Antanarivo. « Je pensais qu’Albert Camus était malagasy ». Pour lui, le français est une langue internationale qui permet de sortir de l’île.
Peu d’écrivains malgaches écrivent en français et peu sont traduits en français
Mais peu d’écrivains malagasys écrivent en français et peu sont traduits en français. D’où la volonté de Johary Ravaloson de fonder sa maison d’édition, Dodo Vole, en 2006 avec sa femme, Sophie Bazin pour mettre en valeur les arts et les littératures du sud-ouest de l’océan Indien. Parmi les auteurs malagasys qu’il a traduits et publiés figure l’écrivain Emilson Daniel Andriamalala, dont l'un des livres est étudié dans le programme du baccalauréat.
Étaient également présents au festival de Macondo la responsable du service culturel de l’Alliance Française Harsita Waters et Denis Mucheru, responsable de la médiathèque et de Campus France. Fondée en 1949, l’Alliance Française est devenue l’une des plus grandes dans le réseau africain. Particulièrement prisée par les acteurs culturels d’abord comme espace de liberté d’expression pendant les années de la présidence de Daniel arap Moi, marquées par la répression et la corruption, aujourd’hui l’espace de l’Alliance Française met son site gratuitement à la disposition des auteurs pour des lancements de livres et d’autres évènements culturels.
Mettre en relation les acteurs du livre
L’Alliance, en collaboration avec l’Ambassade de France a également lancé son propre festival littéraire, le NYrobi Book Fest qui a pour but de mettre en relation les acteurs du livre, des auteurs (dont Alain Mabanckou, Abdourahman A. Waberi ou Timothée de Fombelle) et les lecteurs.
« La France fait la promotion de la langue française mais soutient aussi les langues locales dont le Swahili et l’anglais, » dit Denis Mucheru, qui organise chaque mois un atelier de BD dans la médiathèque et qui a lancé un festival de BD en mars dernier avec le journaliste et bédéiste Msanii Kimani wa Wanjiru comme commissaire.
L’Alliance Française offre également une subvention pour la traduction d’un livre kényan traduit vers le français, rappelle Harsita Waters. Les mémoires de l’écrivain kényan Ngũgĩ wa Thiong’o, Rêver en temps de guerre (Vents d’Ailleurs, 2022), traduit de l’anglais par Jean-Pierre Orban et Annaëlle Rochard a bénéficié de cette subvention et un lancement a eu lieu à Nairobi.
Une visite à la belle librairie Cheche Books qui a ouvert ses portes en 2020 et se veut panafricaine révèle une bonne sélection de titres d’auteurs africains d’expression française en traduction anglaise. L’écrivain Ndegwa Nguru qui travaille parfois comme librairie chez Cheche Books, dit que son livre préféré ces temps-ci est La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr (Philippe Rey, 2021) qu’il a lu, évidemment en anglais.