Campagne catalane, été 1936. Montse a 15 ans et adore écouter son grand frère Josep lui raconter les lendemains qui chantent. Elle rêve d’amour, aime s’amuser, et rien ne tombe mieux à pic que la courte fugue que celui-ci organise pour eux vers Barcelone, la grande ville républicaine.
Au même moment, à Palma de Majorque, Georges Bernanos assiste, horrifié, aux exactions et aux massacres que les nationaux, qui avaient pourtant sa sympathie de catholique monarchiste, infligent aux populations. D’un côté, une jeunesse pleine d’énergie et de rêves de jouissances qui s’ébaubit dans l’été et les soirs à refaire le monde ; de l’autre, la marche sourde des miliciens, qui égorgent et torturent, avec la bénédiction des autorités ecclésiastiques. Il y aura Guernica, il y aura Les grands cimetières sous la lune ; mais la vie de Montse, de son frère, de son village, était réservée à Pas pleurer.
Ce roman entrelace le récit de l’adolescente, devenue une vieille femme, à sa fille - la narratrice - et le pamphlet douloureux de Bernanos. A ce jeu d’échos littéraires s’ajoute la polyphonie du village où, selon la langue fleurie de Montse, "les racontages remplacent la télévision et les villageois […] y trouvent matière à rêves et à inflammations". On entend claquer les dominos et résonner L’internationale, entre deux disputes ornées de jurons savoureux des pères paysans avec leurs fils collectivistes. On devine aussi les rêves secrets et les doutes face au "grand bluff amphigourique" qui se trahit chez les républicains aussi bien que chez les phalangistes. C’est l’Espagne rurale d’avant Franco que Lydie Salvayre fait revivre, dans un foisonnant panégyrique, volontiers drôle, nécessairement tragique.
Car l’été de tous les espoirs finira, pour Montse comme pour les républicains, dans le sang et les larmes. La mort et l’exil succéderont aux mensonges et aux lâchetés. Mais entre les deux, il y aura eu ces yeux d’adolescente pleine de vie, qui découvrent l’amour et la lutte des classes, les inévitables blessures et les autres mondes possibles.
Fanny Taillandier