Drôle, touchant, parfaitement maîtrisé, le premier album d’Alex W. Inker révèle un auteur majuscule. Sorti en 2006 de l’institut Saint-Luc de Bruxelles, enseignant les liens entre cinéma et BD à l’université Lille-3, l’auteur a choisi un format à l’italienne et une bichromie d’époque pour mettre en scène, avec un découpage au cordeau, un huis clos de voyous dans le Paris de 1934.
Dans un vieux bar du quartier de la Bastille au tenancier très tatoué fait irruption à la nuit tombée un gros homme riche et déplaisant flanqué d’une jeune et jolie métisse, assez portée sur l’alcool, et de son chauffeur, occupé à réparer sa luxueuse Traction tombée en panne. Au fil de la soirée, l’atmosphère s’alourdit. Lestée d’une généreuse charge érotique, elle va bientôt réveiller désirs de vengeance et fantasmes d’argent facile.
Car peu à peu se révèlent dans les vapeurs d’alcool les trajectoires pas très nettes des protagonistes et les rancœurs qu’ils ont accumulées. Le petit bar devient le réceptacle de vieilles histoires d’Apaches, ces bandes de voyous du Paris de la Belle Epoque, et de gueules cassées par la guerre de 1914-1918. Alex W. Inker fait revivre le bagne de Cayenne ou les courses truquées. Il reconstitue autour du zinc l’imaginaire et les meurtrissures d’un milieu. Avec un scénario à rebondissements, des dialogues fleuris, un trait plein d’humour et d’inventivité sur un canevas tout en clins d’œil au dessin de l’entre-deux guerres, il réjouit à chaque page.
Fabrice Piault