La révolution est un thème idéologique par excellence. Tous les historiens ont leur idée sur la question. Enzo Traverso (université Cornell, États-Unis) aborde la sienne à travers les lunettes de Karl Marx et de Walter Benjamin. Après tout, pourquoi pas ? Suivons-le dans cet essai qui nous en dit autant sur sa conception personnelle de l'histoire que sur celle des révolutions. D'abord, sur la violence. Il l'exclut d'emblée de son propos, considérant à juste titre qu'elle est une composante fondamentale du phénomène. C'est vrai pour la plupart d'entre elles, moins si l'on considère celle des œillets au Portugal ou de velours en Tchécoslovaquie. Mais l'historien italien a raison sur bien des points, et on le découvre à la lecture de cette étude très documentée et illustrée. Les révolutions suivent quelques principes de base, dont la colère fait partie intégrante. On ne fiche pas tout en l'air sans dégâts. Or, c'est bien de cela qu'il s'agit. La révolution, c'est le changement radical, la poussée extrême, le revirement total avec le plus souvent son lot d'excès et de fanatisme.
On peut certes contester l'approche de Traverso, on ne peut évacuer sa connaissance du phénomène. Pour éviter les pièges de « la stigmatisation conservatrice ou l'apologie aveugle », il a pris soin de faire le ménage et il a vidé au préalable les placards de ses cadavres encombrants. Il en résulte une sorte de constellation révolutionnaire, un ciel contestataire parsemé d'étoiles, rouges évidemment. Car à l'approche chronologique il a préféré celle des « passages » utilisée par Benjamin pour faire sauter le continuum historique. Traverso cherche à rassembler « les fragments intellectuels et matériels d'un passé révolutionnaire éclaté et souvent oublié », cette révolution dispersée façon puzzle dans les méandres du temps. Cela passe par des images (le chemin de fer), des représentations (le corps révolutionnaire, l'intellectuel), des lieux (la Bastille) des objets, des statues, des posters, des drapeaux. Cet inventaire donne l'idée de ce que pourrait être un musée de la révolution, à condition de la considérer bien sûr comme un principe achevé.
Que tirer de tout cela ? Que des révolutions sont toujours possibles. Mais cette forme de bouleversement politique a-t-elle encore sa place dans le monde actuel ? Les populations plébiscitent moins la violence. Chacun cherche désormais une voie alternative dans la résolution des conflits. La fameuse tabula rasa n'a plus le vent en poupe, surtout depuis la pandémie. Dans l'évolution, les révolutions sont des catastrophes. Dans l'histoire aussi, le plus souvent, parce qu'on ne les prévoit pas plus qu'on ne les contrôle. On les subit comme des raz de marée, mais à la différence des turbulences naturelles, elles expriment « la respiration de l'histoire », pour le meilleur et pour le pire. On lira donc Traverso pour sa connaissance du mécanisme, sa passion de l'expliquer à travers ses acteurs, ses représentations et aussi son espoir de voir le monde changer.
Révolution, une histoire intellectuelle Traduit de l'anglais par Damien Tissot
La Découverte
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 25 € ; 464 p.
ISBN: 9782348069734