2 FÉVRIER - NOUVELLES France

François Bégaudeau- Photo DR/ALAMA ÉDITEUR

Reconnaissons qu'on n'avait pas pensé à lui pour le rôle. On n'imaginait pas que les histoires de gestation, de placenta, de "poussez poussez madame", d'épisiotomie et de péridurale, et autres joyeusetés pré- et post-partum puissent inspirer l'adulte pas encore tout à fait démoulé que semble être François Bégaudeau. Première bonne surprise de ce livre "de commande", deuxième titre de la collection "Pabloïd" d'Alma éditeur, consacrée aux thèmes fondamentaux de l'art selon Picasso et inaugurée avec Le baiser peut-être de Belinda Cannone, le décalage fonctionne bien. Et d'un strict point de vue gynécologique, le parturient par procuration est plutôt très documenté, brillant comme toujours dans la veine cynico-naturaliste qui fait sa griffe. Et que les témoins et conseillères techniques, citées en fin de livre, en soient remerciés : on jurerait que l'écrivain a personnellement mis au monde plusieurs enfants.

Evidemment, la grossesse et l'accouchement version Bégaudeau, c'est plutôt noir punk rock que rose layette. Comme dans un manuel de Laurence Pernoud mais en plus cru et plus incarné, Au début passe en revue à peu près tous les états et un large éventail des motivations (y compris des clichés) qu'évoquent les femmes, mères ou non. Les dilemmes - elle en veut, lui non. Ou, plus rare, l'inverse -, jusqu'au désir d'enfant, quand "techniquement" ça coince...

Voici donc des femmes et des hommes face à la maternité, comme on dirait face à la mort. Différentes narratrices parlent. "Je ne peux pas l'expliquer alors je le raconte", dit l'une d'elle. "Le désir ne doit pas être confondu avec les causes, qui elles-mêmes n'équivalent pas aux circonstances." Le ton change selon l'âge, l'origine sociale, le profil psychologique, l'héritage familial... Les histoires se font discrètement écho. Il y a des objets littéraires familiers de Bégaudeau : les années 1980, les Wampas et Green Day et le cinéma (une adaptation inversée de Rosemary's baby notamment)... On croit reconnaître des Stéphanie, des Valérie ou des Emmanuelle déjà croisées, et même la Miss Camping de La-Faute-sur-Mer 1990, leurs copines ou leurs soeurs...

Au fond, passé l'effet de surprise, on se dit que le sujet n'est pas aussi éloigné que ça de ce qui occupe l'écrivain depuis le début, justement : les rites d'initiation aux moments charnières de la vie, comme le passage dans l'adolescence, dans La blessure, la vraie, son dernier roman paru l'année dernière chez Verticales. C'est dans ces moments-là, quand les choses risqueraient de virer au trop solennel, que Bégaudeau dégaine son ironie et commence à ferrailler avec ce qui paraît être son pire ennemi, et pas seulement dans l'écriture : le lyrisme romantique. Ce qui n'empêche pas que l'on soit inexplicablement émus en entendant, dans les dernières pages, la version de l'Isabelle qui, dans le deuxième chapitre, écoutait dans un café devant un verre de brouilly son amie Marie raconter "la pression" qu'elle subissait de la part de son compagnon... Notre hypothèse : l'anthropologue Bégaudeau est en réalité un grand sentimental qui met beaucoup de pudeur (et de grâce brusque) à nous faire croire qu'on ne la lui fait pas. On va parier une bière là-dessus.

Les dernières
actualités