Soudeur de cœurs. « soustraction / écris le mot famille / enlève le m / reste faille. » Tel pourrait être l'autre nom d'Éric Fottorino, qui ne cesse de creuser sa faille originelle. Plusieurs de ses romans, marquants, exploraient le cordon particulier le reliant à sa mère et l'incroyable histoire qui lui a offert deux pères. Ses premières années se sont déroulées en tête-à-tête avec cette femme qui s'était battue pour le garder. « enfant je la voyais / maman / en icône sacrée / je me suis tant trompé » (puisqu'il réalise que) « tu ne la connais pas / elle ne te connaît pas / maman n'a peur de rien / c'est moi qui la protège. » Mais la révélation du passé balaie tout cela. « chaque 10 janvier de sa vie / depuis soixante ans/ maman reste couchée / elle te remet au monde / elle te demande pardon. » À l'âge adulte, l'auteur comprend qu'un autre être a existé, dans son corps et son âme. « les secrets bien gardés sont des larmes / qu'en nous les larmes font rouiller / pourquoi s'était-elle libérée si tard / de ce poids qui l'avait écrasée / d'avoir retenu son garçon / effacé sa fille / elle amputée de toi / toi amputée d'elle. » Cette honte silencieuse trouve sa source dans le drame des femmes prisonnières d'une époque où l'on se scandalisait des enfants nés hors mariage. Surtout s'ils avaient pour mère une toute jeune fille, soi-disant incapable de les élever. La société déterminait leur sort en privilégiant l'arrachement. « nous sommes les enfants du péché / les enfants empêchés. » Comment grandir sans abîmer les souvenirs ? « maman m'a eu si jeune / qu'elle était ma sœur » Ensemble, ce duo a tout partagé... Puis un nouvel homme recrée leur famille, en adoptant la mère et le fils. Désireuse de saisir sa chance, « elle m'a dit / c'est à toi que je dois la vie / et ivre de vivre / et forcée d'avancer / elle ne t'a plus espérée... » Aujourd'hui encore, « maman n'a plus la force/ de te chercher. » Mais le fils refuse d'abdiquer : « si te retrouver est impossible / ne rien dire serait accepter que / tu n'as jamais existé. » Alors face à cette sœur inconnue, digne d'un « continent innommé », « je t'invente avec mes mots / je t'invite / au milieu d'anciennes solitudes. » L'encrier poétique se transforme en quête effrénée. « avoir la même mère / fait-il de moi ton frère / de toi ma sœur / va-t-on s'aimer », s'interroge Éric Fottorino dans ce texte si singulier dans sa forme, sa beauté et sa sensibilité.
Mon enfant, ma soeur
Gallimard
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 21 € ; 288 p.
ISBN: 9782073036575