Erik Orsenna :"Ce qui compte, c'est la lecture"

Erik Orsenna :"Ce qui compte, c'est la lecture"

Promoteur précoce du livre électronique, le conteur des épopées du coton et de l'eau s'attache cette fois au papier, pour lequel il voit un avenir mi-figue, mi-raisin.

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avec Créé le 13.02.2015 à 16h31 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

Le parcours d'Erik Orsenna est celui d'un brillant sujet à qui tout réussit. Né Erik Arnoult en 1947, économiste, il se spécialise dans la finance internationale et le développement. En 1981, cet homme de gauche convaincu devient conseiller au ministère de la Coopération, puis conseiller culturel de François Mitterrand. Il entre ensuite au Conseil d'Etat, dont il est actuellement en disponibilité.

Erik Orsenna chez lui, à Paris.- Photo OLIVIER DION

Parallèlement, sous son pseudonyme gracquien d'Orsenna, il a mené une belle carrière littéraire : auteur d'une trentaine d'ouvrages, il a obtenu le prix Goncourt en 1988 pour L'exposition coloniale, publié au Seuil. Elu à l'Académie française en 1998, ce "fou de lecture" a été aussi un pionnier du livre numérique. Depuis une dizaine d'années, il s'est lancé dans un projet hors norme : raconter à sa manière, "en géographe", la saga de nos matières premières. Après le coton et l'eau, Erik Orsenna a mené l'enquête sur le papier, à qui il rend hommage, en lui promettant un avenir différent de ce qu'on a connu jusqu'ici.

Livres Hebdo - Comment expliquez-vous le succès de vos "Petits précis de mondialisation" dont les sujets, l'économie du coton, de l'eau ou cette fois du papier, paraissent plutôt austères ?

Erik Orsenna - Le premier, Voyage aux pays du coton, paru chez Fayard en 2006, s'est vendu à 200 000 exemplaires en grand format. Il est traduit dans une quinzaine de pays, et est devenu un best-seller en Chine ! Mon travail, c'est d'expliquer un problème, à travers des lieux et des personnes. Quand j'avais 15 ans, je voulais être Albert Londres, ou Joseph Kessel...

Mais je suis avant tout un pédagogue. Notre planète est folle, passionnante, en mutation, il faut l'expliquer. Outre l'enquête, qui prend environ deux ans, j'apporte un soin méticuleux à l'écriture de ces livres, plus factuelle que celle de mes romans. Et à leur composition, proche du montage d'un film.

C'est ce succès qui vous a permis de poursuivre dans votre démarche ?

Oui. Après le coton, Claude Durand, alors P-DG de Fayard, et Jean-Marc Roberts, mon éditeur, qui y était directeur littéraire, m'ont dit : "Va où tu veux, on finance !" Une telle offre ne se refuse pas. Je me suis donc intéressé à l'eau, sujet plus difficile, plus polémique. J'en ai fait L'avenir de l'eau, paru en 2008 chez Fayard, qui s'est vendu à 150 000 exemplaires en grand format. J'ai ensuite appliqué la même méthode pour le papier. Parce que je lui dois tout : ce que j'ai fait dans ma vie, si je suis lu, étudié dans les écoles, c'est grâce à lui !

Au fil de votre enquête, qu'avez-vous découvert ?

Que le papier est encore plus vieux qu'on ne le pensait, puisqu'il a été inventé en Chine au IIe siècle avant Jésus-Christ. Que le chiffre d'affaires de l'industrie mondiale du papier, toutes catégories confondues - papier graphique, d'emballage et tissu - est supérieur à celui de l'aéronautique. Que le problème du papier est lié à ceux des forêts et du recyclage. Et que le papier a sans cesse été réinventé sous des formes nouvelles.

Vous avez été, avec Jacques Attali, créant Cytale en 1998, un pionnier des tablettes numériques. L'avenir du "papier graphique" est-il selon vous menacé par les nouvelles technologies ?

Non, car le papier est lui-même à la pointe de la technologie. Aucun médium n'est chassé par un autre. Prenez la radio - je suis un enfant de la radio, c'est mon média préféré. Eh bien, ni la télévision ni Internet n'ont tué la radio, au contraire. Le "papier graphique", celui qui nous intéresse, celui fabriqué pour l'édition de livres, va demeurer : contrairement à d'autres outils, il résiste à tout - sauf à l'eau. Même si les liseuses ont accompli des progrès techniques énormes, et en feront encore, il y a une appropriation du texte lu qui ne peut passer que par le papier. On imprime ce qu'on a envie de conserver, de sauvegarder.

Comment le "papier graphique" va-t-il évoluer ?

Vers une plus belle qualité, avec des fibres longues provenant de pins et de bouleaux, des arbres qui poussent lentement. Cette qualité doit conforter l'acheteur d'un livre dans son choix.

Est-ce valable pour toutes les familles de livres ?

Certainement pas. Certains types de livres de documentation, peu maniables et vite dépassés, risquent de disparaître. Je pense par exemple aux codes de lois ! Les générations nouvelles seront habituées à l'écran, et n'auront plus le réflexe d'aller chercher ce genre de choses dans des livres papier. Le livre de poche est aussi menacé. Il est relativement volumineux, on le transporte beaucoup : pour les grands voyageurs, la tablette a vraiment un avenir. C'est la bibliothèque de Babel dont rêvait Borges. Ce qui compte, c'est la lecture, pas le support.

N'est-ce pas paradoxal qu'un objet prévu pour faciliter l'accès à la lecture menace le plus populaire des livres ? Et le livre grand format ne risque-t-il pas de redevenir l'apanage d'une élite ?

C'est une question extrêmement intéressante, à laquelle je n'ai pas de réponse. Tout progrès est une aventure ambiguë. Ce dont je suis sûr, en revanche, c'est que le livre papier demeurera irremplaçable pour la littérature.

Cette évolution va-t-elle aussi modifier le métier de libraire ?

Les vrais libraires, à qui je dois tant, sont des professeurs de curiosité. Ceux-là vont devoir apporter à leurs clients des services supplémentaires.

Actuellement, de nombreuses librairies ont des économies fragiles.

Tout à fait. Lorsque j'étais à l'Elysée, je me suis battu, avec Jack Lang, pour le prix unique sur le livre, et la TVA réduite. Je trouve inadmissible sa possible augmentation à 7 %. Quant au prix du foncier, il m'inquiète plus que le livre électronique. Il faut aider les libraires à demeurer dans les centres-villes. Je suis en train de rédiger une note sur tous ces sujets à l'attention du candidat François Hollande.

En tant qu'écrivain, ne regrettez-vous pas la probable disparition des manuscrits, états successifs d'un texte, ou correspondances ?

Si, tout à fait. D'ailleurs j'écris tous mes livres à la main, au crayon à papier. C'est du bois, donc encore du papier ! Sans le savoir, nous vivons dans un monde de papier.

Avez-vous d'autres "petits précis" en préparation ?

Il devrait y en avoir trois autres. Un sur l'avenir de la mer, d'ici deux ou trois ans, puis un sur les villes. Et un sur la temporalité, un peu plus philosophique, mais concret. PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-CLAUDE PERRIER

Sur la route du papier. Petit précis de mondialisation III, par Erik Orsenna. Stock, 324 p., 21,50 euros. ISBN : 978-2-234-06335-8. Tirage : 60 000 exemplaires. Parution : 29 février.

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