5 AVRIL - RÉCIT France

Tristan Jordis- Photo HERMANN/SEUIL

En immersion. "Embedded" au coeur du réel, partout où il éclate, s'effiloche, mute. Depuis la parution de l'impressionnant et inaugural Crack (Seuil, 2008), Tristan Jordis ne semble pas concevoir d'autre façon d'être au monde, d'être en littérature. La liste des cuistres qui ne l'envisagent, quant à eux, pas autrement que depuis une estrade est suffisamment longue pour que l'on n'aille pas lui faire le reproche de ne pas rejoindre cette triste cohorte. En fait de foule, Jordis préfère celles, relatives, de la marge.

Surtout lorsque, comme ce fut le cas au Caire aux premiers jours de l'année 2011, celle-ci se découvre rejetée vers le centre par le poids de l'Histoire. Après les junkies de la porte de la Chapelle, voici donc venue la belle génération de la jeunesse révolutionnaire de la place Tahrir. Dans un pays où un tiers de la population a moins de quinze ans, deux tiers moins de vingt-cinq, le "devenir" insurrectionnel du pays était écrit. Quelques semaines après le triomphe de la révolution et la chute de Moubarak (sinon du régime...), Tristan Jordis revient sur les lieux du crime et de l'espoir. Il y passera cinq mois. Tous au plus près de cette flamme révolutionnaire qui va s'éteindre peu à peu, de cette promesse d'un monde nouveau qui s'éloigne à l'horizon. Tous passés, d'appartements bondés en cafés qui ne le sont pas moins, auprès des activistes (qui parfois s'ignoraient eux-mêmes) de la place Tahrir, mais aussi du kaléidoscope vertigineux de la société égyptienne (flics en civil, petits commerçants, nassériens reconvertis en frères musulmans, grands bourgeois occidentalisés, etc.) nanti de pas mal de haschich et d'un appétit de vie que n'épuisent ni les nuits blanches ni l'éloignement de l'idéal démocratique. Comme dans Crack, entre gonzo reportage et rigoureuse enquête socio-politique, Tristan Jordis ne démontre rien, montre tout et écrit avec une belle énergie, dont on ne peut s'empêcher de penser qu'elle est aussi celle du désespoir. Il est en quelque sorte le dernier visiteur romantique de la place Tahrir ; celui qui en sortant éteindra la lumière.

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