Grandes surfaces culturelles

Fnac : la Bourse et la vie ?

La Fnac Orly Ouest, l’un des 13 magasins « travel » de l’enseigne. D’ici à 2016, 15 magasins de gares et d’aéroports s’y ajouteront. - Photo Olivier Dion

Fnac : la Bourse et la vie ?

Le 20 juin, alors que Virgin sera en liquidation, l’agitateur culturel fera son entrée en Bourse. Parce que la famille Pinault, qui veut s’en débarrasser depuis plusieurs années, n’a pu trouver de repreneur. Les actions seront réparties parmi les actionnaires de Kering, ex-PPR. Recapitalisée, rationalisée, diversifiée, la Fnac parviendra-t-elle à rebondir ?

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Par Clarisse Normand
avec Créé le 11.10.2013 à 19h29 ,
Mis à jour le 03.04.2014 à 17h10

Le 20 juin, la Fnac fera son entrée en Bourse sur le marché Euronext de Paris, sous réserve que le 18 juin l’assemblée générale des actionnaires de sa maison mère, Kering (ex-PPR), ait approuvé la scission des deux entreprises et la distribution concomitante d’actions Fnac, à raison d’une pour 8 actions Kering (1). L’opération a pour but de permettre au groupe de luxe, qui n’a pas réussi au cours des années précédentes à trouver un repreneur pour sa filiale de distribution de produits culturels et technologiques, de s’en séparer quand même en la mettant entre les mains de ses actionnaires, au prorata de leur participation. En sortant ainsi de ses comptes une entreprise dont l’activité et les résultats ne répondent plus à sa nouvelle identité, Kering entend se donner les moyens de poursuivre son développement dans les secteurs de l’habillement et des accessoires de mode.

“La Fnac ne va-t-elle pas être incitée à durcir ses positions et à exiger encore plus de ses fournisseurs" ? Hélène de Laportalière, Sodis- Photo O. DION

Objectif : tout vendre.

Pour autant, Artémis, holding de la famille Pinault et principal actionnaire de Kering avec 38,9 % du capital, s’est engagé à conserver l’ensemble de sa participation dans la Fnac pendant les deux premières années et à en garder encore 25 % la troisième année. Au-delà, l’objectif est bien sûr de tout vendre, mais dans un premier temps ces mesures assurent un accompagnement de la Fnac dans son autonomisation.

A court terme, la question qui se pose concerne donc surtout la position des autres actionnaires, détenteurs de 61,1 % du capital, le premier d’entre eux, avec 4,8 %, étant le fonds de gestion écossais Baillie Gifford. Garderont-ils ou vendront-ils leurs actions Fnac ? Sur ce point, les analystes financiers ne se font guère d’illusion. Dans ce genre d’opération, les institutionnels revendent généralement au plus tôt leurs parts : certains contraints par la spécialisation de leurs fonds (secteur d’activité, niveau de capitalisation…), d’autres arbitrant pour des valeurs à plus fort potentiel.

Sur la base d’une valorisation de la Fnac comprise entre 400 et 600 millions d’euros, le prix théorique d’introduction de l’action en Bourse se situera dans une fourchette de 35 à 25 euros… Mais, chez les analystes financiers au fait du dossier, les chiffres qui circulent font ressortir une capitalisation moyenne autour de 450 millions d’euros et un prix théorique de l’action à 27 euros. Simple élément d’appréciation, il n’augure toutefois en rien du prix réel qui résultera de la confrontation des ordres d’achat et de vente à compter du 20 juin. Mais si la marque Fnac est forte, ses marchés sont difficiles. Ce qui risque fort de limiter le pouvoir d’attraction de la valeur. D’où des risques de décrochage important, au début tout au moins, mauvais pour l’image de l’enseigne !

Turbulences.

Dans le secteur du livre où la Fnac revendique aujourd’hui à elle seule 16 % du marché français avec un chiffre d’affaires de 565 millions d’euros, éditeurs, diffuseurs et distributeurs appréhendent diversement la période de turbulences que risque de traverser l’enseigne. Inquiète, Hélène de Laportalière (directrice commerciale de la Sodis) s’interroge sur les pressions que le marché boursier risque de faire peser sur la stratégie et sur la gestion de l’enseigne. «Avec un actionnariat éparpillé, qu’en sera-t-il des capacités de financement de la Fnac ? Les exigences de rentabilité à court terme des boursiers sont-elles compatibles avec le temps dont les produits culturels ont besoin pour trouver leur public ? La Fnac ne va-t-elle pas être incitée à durcir ses positions et à exiger encore plus de ses fournisseurs ? » A l’inverse, Thierry Frouin, directeur général adjoint de Dilisco, se veut confiant. «C’est surtout en interne qu’il peut y avoir des inquiétudes… En ce moment, chez nous, l’enseigne affiche même des performances très intéressantes. »

A court ou moyen terme, même si le marché boursier sanctionne la valeur, l’entreprise a en tout cas les moyens de poursuivre sa stratégie. Elle a bénéficié d’une recapitalisation de 300 millions d’euros opérée début 2013 par sa maison mère et négocié une ligne de crédit revolving (trésorerie à court terme) de 250 millions d’euros.

Rationalisation.

Comme l’atteste l’imposant prospectus d’admission en Bourse (plus de 300 pages), Alexandre Bompard, P-DG de la Fnac, poursuit son plan d’action lancé en 2011 et fondé à la fois sur la rationalisation des coûts (optimisation des achats, baisse des charges fixes…) et le renouvellement du modèle commercial. A côté de l’élargissement de la gamme de produits et services (jeux et jouets, petit électroménager…) et du recours accru aux partenariats (SFR, Apple, Kobo…), l’enseigne accélère son développement multicanal (magasins, Internet, mobile) et ses implantations géographiques (avec notamment de nouveaux formats de magasin en franchise).

A ce stade, elle estime avoir déjà recueilli les premiers fruits de cette stratégie en 2012. Sur un plan financier, elle a réalisé 60 millions d’économies. Et sur un plan commercial, elle annonce des gains de parts de marché en France (par rapport à 2010) de 1,7 % sur les produits techniques et de 0,5 % sur les produits éditoriaux. Par ailleurs, le chiffre d’affaires généré par les nouvelles catégories de produits aurait commencé à jouer le rôle de relais de croissance en compensant la nouvelle baisse enregistrée sur la musique, tandis que dans le numérique, son partenariat réalisé avec Kobo s’est traduit par la vente de près de 550 000 livres dans l’Hexagone.

Aujourd’hui, la Fnac annonce une poursuite de sa politique de rationalisation des coûts avec un nouveau plan d’économie de 80 millions d’euros sur deux ans ainsi que son développement sur de nouvelles familles de produits, censées participer d’ici à 2016, à hauteur de 5 %, à la formation de son chiffre d’affaires consolidé. Comme l’explique Frédérique Giavarini, directrice de la stratégie, « il est dans l’ADN de la Fnac d’étendre son périmètre aux loisirs. Rappelez-vous qu’à un certain moment nous avons vendu des bateaux ! ».

Recours à la franchise.

Parallèlement, l’enseigne mise sur une extension de son parc de magasins à l’international mais aussi en France grâce à un recours à la franchise. Au-delà de l’ouverture en propre d’un huitième magasin à Paris, prévue d’ici à la fin de l’année sur 3 700 me dans le centre commercial Beaugrenelle, elle entend s’adjoindre, à l’horizon de 2016, 15 magasins de plus dans les gares et les aéroports et une trentaine de points de vente de proximité. Mais pour stabiliser son chiffre d’affaires, la Fnac compte aussi sur une amélioration de l’expérience du client en développant des outils destinés à renforcer la personnalisation des services, comme le « Net promoter score » qui permet de mesurer systématiquement la satisfaction clients par le biais d’échanges par mails.

En interne, ces évolutions sont appréhendées avec une certaine circonspection, les uns craignant un durcissement des conditions de travail, et les autres une tendance à la déspécialisation de l’enseigne.

Reste que, jusqu’à ce jour, le groupe, avec un concept unique rassemblant sous le même toit des produits culturels, technologiques et de loisirs, a prouvé sa capacité de résistance sur des marchés en crise où l’on compte les morts et les blessés, parmi lesquels Pixmania et Surcouf pour la partie technologique, Virgin (voir page suivante) et Chapitre pour la partie culturelle. Mais, comme le note un analyste financier, le malheur des uns peut faire le bonheur des autres. Et de fait, même si l’on sait que la disparition d’un point de vente ne se traduit jamais par un report à 100 % de la clientèle sur les autres, la Fnac pourrait quand même profiter des déconvenues de ses confrères. D’ailleurs, certains de ses magasins, à commencer par celui des Champs-Elysées, ont déjà enregistré une progression sensible de leur activité. C’est parfois le dernier qui ramasse la mise ! <

(1) LH 926 du 19 octobre 2012, p. 15.

Elodie Perthuisot : « Les éditeurs doivent nous accompagner »

Elodie Perthuisot, directrice du livre de la Fnac.- Photo O. DION

Dans le cadre de sa politique de rationalisation des coûts, la Fnac veut encore économiser 80 millions d’euros sur la période 2013-2014, en plus des 60 millions de 2012. Quel en sera l’impact sur le livre ?

Cette politique concerne essentiellement les coûts structurels (loyers…) et non la politique commerciale et les budgets d’achats. Cela étant, comme pour tous les autres secteurs, le livre doit faire l’objet d’une gestion saine de ses stocks afin d’optimiser à la fois le chiffre d’affaires et les marges. Ce qui implique d’abord de mieux acheter.

Quelle place le livre a-t-il vocation à avoir au sein d’un groupe qui va être poussé à jouer la carte de la rentabilité à court terme ?

Le livre reste une priorité au sein de la Fnac. En 2012, ce secteur a représenté plus de 20 % de notre activité. En France, il a dégagé un chiffre d’affaires de 565 millions d’euros avec la vente de plus de 360 000 références. Je vous rappelle que le Top 20 ne représente pas plus de 5 % de notre activité. Nous travaillons d’ailleurs au développement d’une belle largeur de gamme sur les ouvrages de fond. Nous avons ainsi augmenté l’offre stockée de notre site Internet afin d’enrichir notre assortiment disponible sous 24 heures. Et parallèlement, nous assurons une gestion plus rigoureuse en magasin. Nous insistons sur le rôle clé de nos magasins dans le cadre de notre développement omnicanal. Ils doivent répondre à l’ensemble des demandes des clients et proposer une véritable expérience d’écoute et de conseil.

Certains éditeurs craignent un durcissement des relations commerciales de votre part. Que leur répondez-vous ?

Nous devons travailler ensemble pour défendre la place du livre et la diversité éditoriale menacée par les pure players. Le livre a besoin d’exposition pour trouver son public, c’est-à-dire de magasins, mais aussi de libraires capables d’accueillir, de conseiller… C’est ce qui fait notre force et nous déployons pour cela d’importants moyens tant sur un plan financier et marketing que sur le plan humain. Mais nous avons besoin d’une collaboration étroite avec les éditeurs pour nous accompagner. Ils devraient pouvoir différencier leur stratégie commerciale afin d’aider les acteurs qui créent de la valeur pour le marché du livre et éviter ainsi tout risque de destruction de valeur pour le secteur. <

Virgin, c’est fini

Vingt-cinq ans après son arrivée en France, le groupe s’apprête à être liquidé. La décision sera officialisée le 17 juin.

Virgin Barbès, Paris, 10 juin 2013.- Photo OLIVIER DION

C’est inéluctable même si, à l’heure où nous mettons sous presse, la liquidation judiciaire n’est pas encore officielle. Six mois après son dépôt de bilan et sa mise en redressement, Virgin Megastore France va disparaître. Le tribunal de commerce de Paris doit annoncer sa mise en liquidation judiciaire le 17 juin, après avoir rejeté, en raison de leur insuffisance, les dernières offres de reprise encore en lice, à savoir celles de Vivarte (prêt-à-porter) et de Cultura.

Une grande surprise.

Le peu d’intérêt suscité par Virgin auprès des repreneurs aura été l’une des grandes surprises de cette affaire. Dans le secteur culturel, Patrick Zelnik, le patron de Naïve, n’a jamais dépassé le stade des déclarations d’intention ; Rougier & Plé, distributeur de matériel pour les métiers d’art et les loisirs créatifs, a retiré, quelques semaines après l’avoir déposée, son offre portant sur 11 magasins ; enfin, Cultura s’est discrédité en proposant de ne reprendre, à des conditions très dures, que le point de vente d’Avignon et 17 salariés.

Dès lors, tout laisse à penser que, d’ici à la fin juin, les 26 magasins Virgin auront définitivement tiré le rideau. « Gâchis, gâchis, gâchis. » Le mot revient dans toutes les bouches, avec amertume du côté des 960 salariés, dont 300 libraires, qui vont se retrouver au chômage.

Pourtant il y a 25 ans, en 1988, lors de son implantation en France sur l’avenue des Champs-Elysées, Virgin représentait l’avenir et apportait un vrai renouveau dans la vente des produits culturels. Installée dans un lieu monumental propice à la déambulation, l’enseigne, à l’image jeune et provocatrice, proposait un vaste choix en musique avec des imports difficiles à trouver. « Elle a aussi été l’une des premières à ouvrir le dimanche », rappelle Perrine Devouge, libraire au magasin des Champs-Elysées, et « a représenté, selon son confrère Jean-Damien Bastide, l’arrivée en France d’un modèle de management à l’anglo-saxonne, en vogue à l’époque ».

Surfant sur la vague du renouvellement du marché de la musique avec le remplacement du vinyle par le CD et jouant la carte de l’événementiel, Virgin a très vite trouvé sa place et élargi son périmètre. Dès 1989, l’établissement parisien s’est enrichi d’une librairie de 500 m2. Et, un an plus tard, l’enseigne débarquait à Bordeaux.

Toutefois, déjà à la fin des années 1990, un tournant s’amorçait. « Le premier signe a été le retrait, du hall central, de l’ascenseur panoramique jugé trop coûteux », se souvient Jean-Damien Bastide, salarié depuis 1997. A côté de la mise en place d’une politique de gestion unitaire des produits, la fin de l’âge d’or a été entérinée en 2001 par la cession de l’enseigne opérée par son fondateur, Richard Branson. Virgin, alors à la tête de 16 points de vente, a été vendu au groupe Lagardère, via sa filiale Hachette Distribution Services qui en a gonflé le périmètre en lui apportant les 10 magasins Extrapole qu’elle possédait déjà. Composée de 30 points de vente en 2007, l’ensemble a été revendu à un fonds d’investissement, Butler Capital Partners, qui en détient depuis 74 %, aux côtés de Lagardère (20 %) et de Virgin mobile (6 %), dont le P-DG, Geoffroy Roux de Bézieux, est candidat à la présidence du Medef.

Mutations.

Parallèlement à cette financiarisation de l’actionnariat, Virgin a subi de plein fouet les mutations de son principal marché, la musique, liées à l’arrivée d’Internet et du numérique. L’enseigne, spécialisée dans la distribution de produits culturels, a bien tenté de se repositionner sur le livre, mais, en dépit des compétences de ses libraires, son image a toujours eu du mal à s’accorder à celle de ce secteur. Jamais son chiffre d’affaires n’y a dépassé de beaucoup les 100 à 120 millions d’euros, avant de retomber en 2012 à 79 millions d’euros.

Plus globalement, la standardisation de l’offre, le non-renouvellement de la clientèle et, surtout, les erreurs stratégiques commises par les dirigeants, à commencer par le ratage du virage numérique, ont abouti aujourd’hui à un passif global de 180 millions d’euros ! Dans cet ensemble, les créances fournisseurs dans le secteur du livre sont estimées entre 10 et 12 millions d’euros.

De fait, afin de limiter la casse, les diffuseurs-distributeurs, situés en première ligne en vertu de la « convention de ducroire » qui leur fait supporter les risques d’impayés, ont fait jouer la clause de réserve de propriété pour obtenir le retour de tous les ouvrages impayés encore en stock dans les magasins. Il s’agissait essentiellement de ceux livrés entre octobre 2012 et janvier 2013 car, avant l’automne, Virgin parvenait encore à régler le gros de ses achats et, après janvier, ces derniers ont été réglés comptant, voire d’avance.

Aujourd’hui, seuls les livres qui ont été payés meublent encore les rayonnages des points de vente. Ce qui représenterait au total une valeur de 6 à 7 millions d’euros. Reste à savoir ce qu’ils vont devenir. Le liquidateur en décidera, mais déjà la piste des soldeurs se profile à grands pas. <

11.10 2013

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