Entretien

Franck Thilliez : « Je ne décris jamais la réalité, ce serait trop horrible »

Franck Thilliez est 2e et 3e de notre top 20 GFK/Livres Hebdo - Photo DR

Franck Thilliez : « Je ne décris jamais la réalité, ce serait trop horrible »

Le dernier ouvrage de Franck Thilliez, Labyrinthes, paraît aujourd'hui aux éditions Fleuve noir. Un polar très noir, un dédale de récits, cinq femmes, des chapitres qui se succèdent de manière discontinue et des temporalités qui s'entremêlent dans un livre déjà tiré à 230 000 exemplaires.

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Par Adriano Tiniscopa
Créé le 04.05.2022 à 18h45 ,
Mis à jour le 05.05.2022 à 09h18

Labyrinthes est votre 21e livre. Comment continuez-vous à cultiver votre savoir-faire ?

Au fil des années, j'ai progressé dans la manière de raconter des histoires. Il y a des questions que je ne me pose plus comme lorsque j'ai commencé à écrire. Il y a des mécanismes que j'ai intégrés et je sais comment va réagir le lecteur. En ce sens, les années sont bénéfiques. Le plus difficile à présent est de savoir se renouveler après 20 livres et autant d’histoires différentes. Il faut trouver de nouvelles façons de raconter des histoires pour continuer à surprendre le lecteur.

Justement, comment alimentez-vous vos scénarios de flics, de meurtres et de disparitions ?

Pour Labyrinthes je me suis basé sur des choses que je connaissais. Sinon quand je ne sais pas encore ce que je vais écrire, je lis beaucoup de faits divers et je regarde beaucoup de reportages. Cela m'aide à trouver un thème. Je consulte ensuite beaucoup d'ouvrages spécialisés et techniques sur le sujet que je traite. J'ai également beaucoup d'interactions avec la police et des médecins légistes. C'est cet aspect sérieux de l’intrigue qui plaît au lecteur. Il en a besoin pour être rassuré.

Qu'entendez-vous par « être rassuré » ?

Le public aime bien avoir l’impression que l’histoire pourrait arriver. Mais il faut bien sûr que ça reste de la fiction. Il y a un paradoxe ici, entre l'évasion et le frisson que procure le roman et le réalisme crée par le fruit de mes recherches. C’est ce qui plaît et qui donne cette impression de voir le monde tel qu'il est aujourd’hui.

Comment en êtes-vous arrivé à l’idée d’écrire Labyrinthes, qui ne s'inscrit pas dans vos sagas habituelles?

Un an sur deux, je sais si je vais écrire une histoire avec mes personnages récurrents. Sinon j'écris ce que je veux et, dans ce cas, j'opte pour des histoires moins policières. Je vais piocher dans des thèmes de thriller ou d'ordre psychologique. Labyrinthes est une sorte d'entre-deux : il parachève des intrigues précédentes mais c'est avant tout une histoire d'amnésie, qui a trait à la mémoire, au cerveau et à ses dysfonctionnements.

Vous jouez souvent avec les mises en abîme...

J’adore les histoires complexes. J’essaie toujours d'avoir ce rapport à la complexité, à l’énigme et au jeu dans la construction de mes livres. Les lecteurs aiment y participer.

Comment vous y prenez-vous pour construire cette complexité ?

Dans un premier temps, il y a la recherche de l’idée et la phase de documentation. Puis la construction du plan. Et enfin l’écriture. Je travaille avec la méthode du mind maping, avec une carte heuristique. Je crée des arborescences sur l’ordinateur pour y mettre mes idées, mes personnages, les lieux, mon plan et les chapitres. Je lis de la documentation des mois avant d'écrire ma première phrase. Je note dans mon logiciel informatique toutes les informations et leur référence. Et quand j’écris, j'ouvre cette « carte cognitive » pour me guider.

Dans Labyrinthes le lecteur disposait de tous les éléments pour résoudre l’énigme, mais il se fait surprendre par la fin. Vous construisez votre livre à partir du twist final ?

Souvent j'ai une idée de la fin mais sans savoir encore comment y parvenir. C'est-à-dire que je connais le but du livre et ce qui doit être révélé. Par exemple, dans le roman policier, l'idée de la fin c'est de connaître ce qui a motivé le meurtrier. En sachant pourquoi il a agi, ça me permet de construire le livre.

Est-ce que le réel vous surprend au point de penser qu'il dépasse la fiction ?

Certains faits divers me confortent dans l’idée que mes personnages ne sont pas si démentiels que ça. La réalité va parfois encore plus loin que ce que j’aurais pu imaginer. Finalement ça me rassure sur le comportement plausible de mes personnages. D’ailleurs, je ne décris jamais la réalité, ce serait trop horrible. On ne peut pas décrire la réalité, ça dégoûterait le lecteur. Le grand méchant du livre, qui fait partie du genre du polar, cumule toutes les perversions. Il est tellement extraordinaire que ça crée un détachement du lecteur qui en vient à se demander : mais qui ferait ça ?

Votre livre nous plonge dans les dérives de certaines performances artistiques. Pourquoi y a t-il selon vous un tel attrait pour les interdits ?

C’est parce qu'il peut montrer des choses transgressives que le polar est un genre qui fonctionne. Le lecteur regarde en quelque sorte à travers le trou de la serrure. Il y va à travers les livres puisqu'il ne peut pas le faire dans la vie. Ça le déresponsabilise et le déculpabilise. Ça fait partie de la nature humaine.

Est-ce que l'écriture est votre manière d'être transgressif ?

Oui sûrement. Je suis venu à l’écriture pour ressortir toutes les images de films et de livres que j'avais accumulées. J’étais adolescent, je ne pouvais pas m’empêcher de me faire peur. Ça a été un besoin psychique, psychologique. Aujourd'hui c'est différent. Je vais chercher des histoires intégralement extérieures à moi. J'essaie de comprendre le monde. Et je suis fasciné de trouver dans la partie noire de la société des histoires qui vont attirer les gens.

Le cerveau est aussi une source inépuisable d'inspiration pour vous ?

Étudier le cerveau permet de créer des personnages romanesques extraordinaires. J’ai besoin que mes personnages aient un problème par rapport à l’esprit. Les gens sont intéressés par le conscient, l’inconscient, les rêves... Dans Labyrinthes je parle aussi de l'électrosensibilité. J’aurais pu écrire un livre rien que sur ce sujet. Dans Labyrinthes, c’est un simple prétexte pour isoler une personne qui avait une vie normale.

Que vous inspire le personnage mythologique du minotaure ?

Enfouis au fond de notre labyrinthe, de notre cerveau, nous avons tous un minotaure, nous avons tous des monstres. Et toujours ces mêmes questions qui nous tiraillent entre le bien et le mal. En découvrant les actes des protagonistes d'un livre, le lecteur se demande  : « est-ce que je réagirais de la même manière ? »

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