La routière. Gabriel Bergmoser aime la route, et ses romans ne vivent que pour et par ça. Bitumées d'un asphalte purement australien, autant dire celui de Mad Max, celui d'Adrian Hyland et d'autres auteurs de l'Outback noir tels Chris Hammer ou Jane Harper, bitumées aussi d'hémoglobine en guise de goudron et d'encre, ses pages comptabilisent des kilomètres de bush, d'espace étouffé et d'amertume poussiéreuse. C'est tout ça dont hérite Maggie la fuyarde, gibier déjà du précédent La chasse (Sonatine, 2021) et personnage à cran d'un nouveau roman hargneux en forme de road-movie. Mais, en amont de la présente cavale, son fardeau s'est alourdi d'un magot conséquent et de pondéreux secrets. Entravée par un tel viatique, la fugitive invétérée chemine sous couverture et on la retrouve bientôt dans le rôle d'une anonyme serveuse du côté de Port Douglas, Queensland, soit le versant nord-est du continent austral. La mer clapote au bout de la rue. La sérénité est à portée de main. Mais les atavismes paradoxaux de la « fille de » flic la poussent une fois de plus à plonger dans le guêpier et s'attirer les foudres de toutes les marges malfaisantes. Et c'est reparti pour un autre tour de débandade mortifère. A-t-elle l'embarras d'un autre choix que la route, encore la route ? Dans son sillage, la terre brûlée ne laisse rien debout, ni amis, ni ennemis, parfois membres des deux camps au gré d'alliances contre nature qui se tissent et se détricotent à la vitesse des balles qui fusent.
Chemin faisant, on décrypte le parcours de Maggie, on détoure ses travers et ses boulets, avec en fil rouge la recherche d'une mère absente et d'un disque dur contenant des informations explosives. Comme s'il effeuillait une marguerite vénéneuse, Gabriel Bergmoser prend son temps pour dévoiler tous les tréfonds et remparts d'une écorchée chronique. Le trajet du retour à Melbourne est donc long, mais la narration est vive. Entre coups de poing et coups du sort, les fantômes du passé émergent de tortueuses zones d'ombre. Maggie navigue pourtant en crabe pour éviter les pièges, mais rien n'y fait. Le rempart de ses précautions s'effrite et les nuisibles rappliquent. Les dangers débouchent de partout, droit devant ou dans les rétroviseurs, multipliés par un auteur qui s'y connaît pour cultiver l'oppressant. Violence et trahisons copinent allègrement dans le sillage de la jeune femme pour lui savonner une planche déjà bien vermoulue depuis l'enfance. Toutes ses valeurs éthiques ou immorales se télescopent et permutent leurs sémantiques dans le flou d'une gadoue confuse. Seule l'animalité peut encore la sauver, voire juste la maintenir à flot. Chaque bifurcation l'emmène toujours plus loin dans la douleur et le sang, le sien et celui de ses poursuivants, dealers enragés, bikers coriaces, flics corrompus... Ne se fier à personne, puisque chaque duel féroce ou simple rencontre lui ôte une bribe d'illusion et la rapproche du vide. La roue tarde à tourner et la routarde n'en finit pas d'expier, avec en bandoulière sa propension à fuir des ennuis répertoriés pour aussitôt en attiser d'autres, jusqu'à disparaître dans un dernier brasier. Nous pouvons décemment penser qu'elle renaîtra bientôt des cendres pour un troisième volume et l'attendons d'ores et déjà de pied ferme.
L'héritière
Sonatine éditions
Traduit de l’anglais (Australie) par Charles Recoursé
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 21,50 € ; 272 p.
ISBN: 9782355849916