Au vu des dégâts - un euphémisme - qui, au cours des siècles,ont été causés par les religions instituées, notamment au nom de l'Église catholique, il peut paraître contre-intuitif de proposer comme base de réflexion face à la crise climatique et aux inégalités générées par le capitalisme mondialisé la parole de Jésus de Nazareth. Carrément para-doxal ! C'est-à-dire contre l'opinion (doxa, en grec), qui tient pour acquis que la marche vers la modernité va de pair avec la sécularisation toujours plus grande de la société. Or le siècle passé n'a pas été sans penseurs chrétiens à la fois hommes de Dieu et de progrès, tels les philosophes jésuites : Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), également paléontologue ; Michel de Certeau (1925-1986), entre autres, psychanalyste ; ou encore, Ivan Illich (1926-2002), ordonné prêtre avant de devenir le champion de l'écologie politique. Assumant sa foi comme cœur et moteur de son engagement, Gaël Giraud, jésuite et économiste, signe une somme théologico-politique de l'anthropocène : Composer un monde en commun.
Il est diverses sortes d'usage. Aux notions de public, privé ou tribal, Giraud ajoute le concept de « commun » : le commun est ce qui permettrait à tous de jouir des fruits de la Terre qui nous a été donnée en partage, il nous obligerait à prendre soin d'elle en tant que ses locataires fraternels et solidaires. Dans l'histoire, ainsi que dans la doctrine chrétienne - surtout l'Évangile selon saint Luc et les Actes des apôtres - la propriété privée n'a pas toujours été un droit, du moins, un droit naturel, comme le prétend le philosophe du XVIIe siècle anglais John Locke. La pulsion d'appropriation a beau animer le cœur des hommes, la propriété ne découle pas pour autant de la nature. Les commons désignent dans l'Angleterre médiévale ces pâturages accessibles à tous les paysans. Le droit de propriété est une construction juridique et, partant, peut être déconstruit et réécrit par les êtres historiques que nous sommes : « L'Histoire est le récit de ce qui advient et qui nous est commun d'une manière qui devance notre propre initiative. » Ce collectif-là, cet « entre-nous », à savoir nos « singularités en relation » requiert présence à autrui, comme à l'environnement non-humain.
Sous d'autres règnes pontificaux, Composer un monde en commun eût sans doute été mis à l'Index, un mauvais procès aurait été fait à son auteur, le taxant de communisme. Certes, les communs, selon l'économiste théologien, sont une vision de la propriété sans propriétaire, à l'instar de la res nullius in bonis, en droit romain, la chose qui de par son caractère inaliénable et sacré n'appartient à personne en particulier. Car de quel droit s'arroger l'air, l'eau, la terre... Mais dans sa critique des multinationales qui, se cachant derrière leur petit doigt vert (le greenwashing), continuent de spolier sans vergogne la planète de ses ressources, Gaël Giraud ne s'appuie pas tant sur Marx que sur l'idée de grâce, tout particulièrement ce qu'en théologie on nomme kénose (« évidement » en grec). Le fait que dans sa bonté Dieu s'est vidé de sa propre divinité afin de laisser place à l'homme en la personne de Jésus : le retrait du divin pour qu'advienne l'humain. De la même manière, il ne saurait y avoir d'avenir partagé sans qu'on s'inscrive dans ce mouvement de pur don.
Composer un monde en commun
Seuil
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 25 € ; 768 p.
ISBN: 9782021474404