Ça vous tombe, comme ça, un jour sur la tête : je vieillis. Samedi j'ai acheté Libé . Comme je ne suis plus obligé de partir tous les matins au boulot à la même heure, j'ai perdu l'habitude d'acheter le journal. Libé spécialement, qui me déçoit plus souvent qu'il n'emballe mon poisson. Mais voilà, samedi, un copain écrivain (avouons-le maintenant, Laurent Sagalovitsch) annonçait sur Facebook qu'il publiait sa « semaine » dans « le mag ». Ce salaud offrait à ses amis Facebook les premières lignes de son papier en précisant : pour la suite il «  faut payer  ». Allez, fini la grasse mat, je suis descendu au kiosque et j'ai mis 1,60€ dans le bourrin. En 1996, j'avais chroniqué Dade City, le premier livre d'un inconnu, et je m'étais enflammé pour ce roman américain écrit par un certain Sagalovitsch dont je n'étais pas sûr qu'il soit américain ou même français. Il m'avait appelé, offert un café, pour comprendre ce que cachait cet enthousiasme. Le milieu littéraire est parano : une mauvaise critique c'est un complot mais une bonne, sans raison, c'est carrément inquiétant. Il s'est résolu, avec le temps, à admettre que j'avais vraiment aimé son livre, puis, encore plus, La Canne de Virginia , un petit chef d'œuvre, et maintenant son auto-trilogie dont le dernier tome, Un juif en cavale vient de paraître. Dans Libé , je retrouve son humour dévastateur, ses chouinements anxiolytiques, son amour des Verts (l'équipe de foot de St-Etienne) et son malaise français. Putain le gamin a quand même 45 ans et notre amitié dure depuis plus de quinze ans ! Juste avant je tombe sur un long portrait-interview de Jean-Marc Roberts, l'auteur de Deux vies valent mieux qu'une à paraître mercredi, mais surtout, le titre de « Une » de Libé le souligne, l'éditeur-de-Iacub chez Stock ! Voilà près de dix ans que nous sommes « fâchés ». On se fâche beaucoup dans l'édition, pas pour longtemps d'habitude, mais j'ai quitté le milieu, alors... Il ne m'a jamais rappelé depuis que j'avais coupé un article d'un pigiste, trop long selon moi, sur le livre d'un de ses auteurs Philippe Claudel ( La petite fille de Monsieur Linh ) qui avait connu un immense succès, peu avant, avec les Âmes grises (prix Renaudot, 2003). Sujet au remords, je l'ai depuis appelé deux fois, le sachant malade. J'ai à chaque fois eu le sentiment qu'il était pressé. Je le retrouve aujourd'hui dans les sublimes dessins de Miles Hyman, que publie Libé . Son ironie, sa liberté, ses sarcasmes. Toujours fier, mais je le sens las. Quelques pages plus loin... la chronique de Marcella Iacub. On voudrait savoir ce qu'elle devient, ce qu'elle a pensé de la décision de justice qui a frappé son livre, et la raison de ce mail si peu glorieux au tribunal, qui devait la dédouaner de sa provocation en renvoyant sa responsabilité sur « on » ? Qui est "on" ? Les journalistes, son éditeur ? Ce samedi elle a choisi de parler de Greta Garbo qui, après vingt ans de carrière cinématographique, s'est cachée pendant cinquante ans, recluse, sans rien dire.... Les années passent, les amitiés et les remords durent, la mort rôde. Silence éternel. C'est l'histoire d'une génération à travers un quotidien dont j'ai été actionnaire aux premiers jours, puis un lecteur passionné, un confrère agacé, et aujourd'hui un lecteur occasionnel qui vient parfois picorer des souvenirs. Je vieillis, comme tout le monde, comme mon quotidien. La vie qui bout encore en moi est l'envie d'envoyer valser le bastringue de notre société dure, indécente, meurtrière. Samedi j'avais cent ans. Dimanche j'ai rajeuni de quarante ans en allant voir Sugar Man , un documentaire génial qui réconcilie avec la nature humaine. L'histoire d'un homme qui aurait pu être Bob Dylan et qui n'est qu'un pauvre homme comme il y en a tant dans la ville de Detroit, LA ville de la crise aux Etats-Unis. Comme vous, si vous allez le voir cet homme intègre, ce père exemplaire, cet artiste qui distribue l'argent qui lui revient soudain à ses compagnons de misère, vous retrouverez le sourire. Et un espoir qui n'est pas mort avec Stéphane Hessel.

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