Géraldine Lenain, "Le dernier maharaja d'Indore" (Seuil) : Un homme moderne

Geraldine Lenain - Photo © Astrid di Crollalanza

Géraldine Lenain, "Le dernier maharaja d'Indore" (Seuil) : Un homme moderne

Géraldine Lenain consacre une biographie fouillée à Yeshwant Rao Holkar II, le maharadjah d'Indore, un dandy passionné d'art déco.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 09.04.2022 à 13h00

Historienne de l'art, spécialiste des arts asiatiques, Géraldine Lenain avait publié, en 2013 chez Philippe Picquier, Monsieur Loo, le roman d'un marchand d'art asiatique, fruit des années qu'elle a passées en Chine. Elle y retraçait l'épopée du fondateur de la Pagode, à Paris, pionnier de l'art chinois en France. Aujourd'hui, alors qu'elle vit en Inde, elle s'est attachée à un autre personnage aussi singulier, Yeshwant Rao Holkar II (1908-1961). Jusqu'à l'indépendance de l'Inde en 1947 et à la suppression officielle par Nehru et Indira Gandhi des radjahs, maharadjahs, nawabs et nizams, il fut le souverain d'Indore, un petit État de 25 000 km2 dans le Madhya Pradesh actuel, au centre du pays, dans le Deccan. Modeste, peu connu, mais richissime. La particularité de Yeshwant, culturellement très occidentalisé, c'est qu'il avait fait ses études en Angleterre, parlait français, et qu'il a passé la plupart de son temps en dehors de l'Inde, en villégiatures d'un luxe inouï en France, en Allemagne, aux États-Unis. C'est en Europe qu'il a découvert, dans les années 1920, les arts de son temps, l'art déco, le surréalisme, la photo, le cinéma. Que, grâce au journaliste et écrivain Henri-Pierre Roché (l'auteur de Jules et Jim), il a rencontré nombre d'artistes (Man Ray ou Brancusi, entre autres), et tout le gotha de ce qu'on n'appelait pas encore des designers, notamment le jeune architecte allemand Eckart Muthesius. En plein tourbillon des années folles, il mène une vie de dandy (alcool, tabac, drogues...) qui, alliée à sa constitution fragile, à son tempérament pathologiquement mélancolique, causera sa mort prématurée. Surtout, il échafaude un projet complètement fou, qui devait lui assurer de passer à la postérité : dans sa capitale Indore, où il possédait de nombreux palais traditionnels, il décide, en 1930, de faire réagencer, réaménager et décorer son Manik Bagh afin d'en faire « le palais le plus moderne du monde », un bijou art déco au cœur de l'Inde, peuplé de créations signées Eileen Gray, Lalique, Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand, Puiforcat, Ruhlmann etc. Le tout, pour un budget colossal de quatre millions de dollars.

À côté de cela, Yeshwant, comme son grand-père (qui a abdiqué en 1903), son père (déposé en 1926) fut un souverain exécrable qui mena une vie de patachon. Antibritannique sous tutelle des Anglais, il tenta, après l'indépendance, de comploter pour conserver son pouvoir. Le premier ministre Nehru en personne dut intervenir.

Mais on lui pardonne, grâce à son Manik Bagh. Hélas, le palais, dévitalisé, est devenu un bureau des douanes et l'essentiel de ses précieuses collections (tableaux, meubles, objets, voitures, bijoux...) est parti pour l'Arabie saoudite. La maharani, sa seule fille légitime, née en 1933, a tout vendu aux enchères. Richard, le fils qu'il a eu en 1944 avec sa deuxième femme, une Américaine, tente de faire vivre sa mémoire. Il sera grandement aidé par cette biographie fouillée, érudite, où Géraldine Lenain, aussi passionnée par l'esthète et le dandy que par l'histoire de l'Inde, tente de lever le mystère d'un homme qui, soixante ans après sa mort, fascine encore les happy few du monde entier.

Géraldine Lenain
Le dernier Maharaja d’Indore
Seuil
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 18,50 € ; 288 p.
ISBN: 9782021502299

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