Arno Geiger avait d'emblée fait preuve d'un étonnant mélange d'ambition, d'élégance et de subtilité. Son premier opus traduit en France, en réalité son quatrième, Toutva bien (Gallimard, 2008), imposait un grand romancier à la large palette. L'Autrichien signait là un portrait de famille sur plusieurs générations. Il y jouait admirablement sur les silences et les ombres, insistait en creux sur les petites affaires du quotidien. Avant que ne soit traduit son dernier roman en date, Alles über Sally, sorte de Madame Bovary contemporain, revoilà Geiger avec un récit d'une grande force.
Le vieux roi en son exil parle de son père, August Geiger, né en 1926, troisième enfant d'une famille de dix où l'on ne parlait pas de politique. Un père atteint par la maladie d'Alzheimer qui, quand on lui tend ses chaussettes, peut désormais demander où est la troisième. "Tout ce qui se perd me touche, écrit Geiger. C'est comme si je voyais mon père se vider de son sang au ralenti. La vie s'écoule de lui goutte à goutte. Sa personnalité même s'écoule de lui goutte à goutte."
La décrépitude mentale l'amène à déambuler "sans trêve ni repos comme un vieux roi sans exil" dans la maison qu'il a bâtie dans les années 1950 et où il habite depuis. Les premiers signes de la maladie remontent aux années 1990, lors du mariage du frère aîné de l'écrivain, ou lorsque ce dernier donnait une interview à la parution de son premier livre. Voici devant nous rassemblées toutes les facettes d'un homme de nature renfermée. Un homme qui ne voyageait jamais puisqu'il assurait avoir vu le monde pendant la guerre.
Au milieu de l'année 1944, August avait quitté le service du travail obligatoire pour rejoindre la Wehrmacht. Puis il avait été envoyé en 1945 sur le front de l'Est en qualité de camionneur alors qu'il n'avait pas son permis de conduire, avant d'être arrêté par les Russes et placé dans un camp de prisonniers.
"La maladie d'Alzheimer est une maladie qui, comme tout ce qui a quelque importance, nous en dit long sur autre chose qu'elle-même", avance Arno Geiger. Lequel montre la progression lente et irrésistible de la maladie, décrit la dégénérescence de son géniteur en même temps qu'il égraine les souvenirs d'enfance. Et s'interroge sur celui qui a été quitté par sa femme, bien plus jeune que lui, après trente ans de mariage. Celui qui fut secrétaire administratif à la mairie où il se rendait sur sa bicyclette trois vitesses au guidon recourbé.
Bouleversant, Le vieux roi en son exil décrit la colère et la rage face à une situation terrible, mais aussi une vraie envie de compréhension. Un fils y tend la main à son père. Le résultat ne peut laisser indifférent.