Hans Eijkelboom aime observer la foule. Peut-être l’avez-vous croisé dans sa panoplie de passant ordinaire, jeans et imper passe-partout, appareil photo autour du cou, ainsi qu’il pose, en tenue de travail, en 2007 à New York, dans Hommes du vingt-et-unième siècle, un livre issu d’une fascinante expérience photographique courant sur vingt et un ans. Une compilation de 6 000 portraits d’hommes, de femmes, d’enfants pris dans les rues d’Amsterdam, New York, Shanghai, Berlin, Paris, Londres, Marrakech ou Arnhem, sa ville natale aux Pays-Bas, regroupés en 500 planches thématiques. Bien plus qu’un street fashion book, un catalogue des vêtements et des coiffures de la rue, c’est un remarquable travail anthropologique sur l’Homo urbanus contemporain que l’on peut feuilleter pendant des heures sans parvenir à épuiser l’effet vertigineux qu’elle procure.
Plus de quarante ans que l’artiste, né en 1949, interroge via la photographie le moi en représentation, l’identité sociale, l’image que chacun projette dans l’espace public. A partir des années 1970, Eijkelboom a imaginé plusieurs séries sous contraintes, d’inspiration oulipienne, se prenant d’abord comme cobaye dans de malicieux jeux de rôle : trempé (A shower of rain), en mari de substitution avec femme et enfants posant dans des intérieurs étrangers à la place du père de famille (With my family), se glissant pendant dix jours consécutifs dans les photos d’un quotidien local (In the Newspaper), faisant porter à d’autres ses propres vêtements (People wearing my clothes), ou plus récemment s’auto-portraiturant dans des vêtements achetés en voyage (Tenues à dix euros).
Saisir l’ordinaire
Hommes du vingt-et-unième siècle s’inscrit dans le projet Diary, débuté en 1992 : prendre une à huit photos par jour sur sa vie quotidienne, six jours sur sept. Puis Eijkelboom a choisi de se concentrer sur les personnes, dans une démarche explicitement influencée par la photographie documentaire de l’Allemand August Sander (1876-1964). Posté à un endroit précis, dans des zones commerciales, observant le flux des passants pendant une durée limitée à deux heures, déclencheur dissimulé - "L’appareil fait le travail. Je me contente de le porter. Je ne regarde jamais dans l’appareil", explique-t-il au critique David Carrier dans la postface du livre -, le photographe saisit l’ordinaire, le commun. Puis rapproche les images et le troublant naît de la répétition, de l’accumulation. Car si au premier regard s’impose une idée d’uniformité, d’indifférencié, aucun "modèle" ne ressemble pourtant à un autre. Même vêtu d’un blouson similaire, chacun reste singulier dans le collectif.
Depuis 2013, Eijkelboom ne produit plus à un rythme quotidien ce qu’il a baptisé ses "photo notes", mais il poursuit néanmoins l’expérience. "Quand j’ai commencé, l’idée était de travailler pendant sept ans avant l’an 2000 et sept ans après. Un projet de quinze années. Mais très vite, c’est devenu un projet permanent sur lequel je vais travailler jusqu’à ce que je ne puisse plus…"Véronique Rossignol
Hommes du vingt-et-unième siècle, de Hans Eijkelboom, Phaidon. 29,95 €, 512 p. ISBN 978-0-7148-6910-0. Sortie le 23 octobre.