Jusqu'à la première moitié de l'histoire, on rit franchement devant cette Panne de secteur. Devant l'éventail, du ridicule au pathétique, des stratégies d'optimisation de l'Education Nationale à la française déployées par ce couple CSP + du Nord-Est parisien engagé dès la naissance de leur fille unique Bérénice dans la compétition scolaire contemporaine. Il faut dire que Paul et Sylvie, respectivement directeur de recherche spécialisé dans le domaine de la biologie du système digestif dans un organisme public et « chargée de mission dans le cadre des politiques et investissements culturels auprès des collectivités territoriales de la région Ile-de-France », ne ménagent pas leurs efforts pour rendre leur fille concurrentielle sur le grand marché du bon élève. Pour qu'elle puisse bénéficier du « droit à l'excellence pour tous » promis par l'institution.
Bérénice fait l'espoir de ses parents et le père dont « l'une des tâches de prédilection était consacrée à une rigoureuse analyse des aspérités des parcours scolaires » est particulièrement mobilisé. La famille transformée en petite entreprise de réussite éducative est prête à tout pour échapper au « collège de merde » auquel les condamne la sectorisation : tests d'évaluation de personnalité à haut potentiel dès 4 ans (pas concluants) puis après une scolarité sans éclat dans l'école primaire publique du quartier, la domiciliation chez un prête-nom (leur ancienne employée de maison devenue concierge dans le Ve arrondissement) pour permettre l'inscription de leur championne à partir de la classe de 4e, dans le prestigieux lycée Henri-IV au cœur de Paris. Un « sanctuaire où elle allait désormais, à l'instar d'une chrétienne béatifiée, recevoir les sacrements d'une pédagogie aristocratique ».
L'ironie affûtée du médecin primo-romancier Philippe B. Grimbert qui pointe férocement les contradictions entre discours et actes et joue du choc entre les verbeux « éléments de langage » et la réalité plus prosaïque qu'ils emballent, installe d'abord le roman entre la satire sociale et la comédie de mœurs. Avant que la machine ne se grippe : la dite Bérénice, après avoir accédé au Graal (une classe prépa littéraire) tombe amoureuse de son condisciple Aymeric, le garçon boursier méritant de Bourg-en-Bresse, élevé par une mère célibataire, une exception à forte charge érotique au milieu de cette élite sociologiquement homogène. Et le roman sans se départir de son ton caustique prend alors une dimension de conte cruel.
Bizarrement, on finit par éprouver de la compassion voire une certaine tendresse pour ces personnages pris au piège et pour ce père vivant par procuration ses ambitions frustrées puis dépassé par les événements. Qui projette sur son enfant un amour inconditionnel, narcissique et maladroit et enclenche une mécanique plutôt dramatique qui fera tout imploser.
Panne de secteur
Dilettante
Tirage: 2 222 ex.
Prix: 17,50 euros ; 224 p.
ISBN: 9791030800005